A l’heure du soixantième anniversaire des accords d’Evian, quel récit faire de cette «guerre sans nom» ? En 2022, comment raconter aux enfants ce que les autorités coloniales françaises ont longuement désigné par des périphrases absurdes – «événements» d’Algérie, «opérations de maintien de l’ordre en Algérie», «pacification», ou encore «opérations en Afrique du Nord» ? Il s’agissait bien d’une guerre, pourtant, que ce très riche ouvrage, destiné aux collégiens et au-delà, explore avec finesse – avec le concours de l’historien Abderahmen Moumen, spécialiste de la période.
De manière assez subtile, la périodisation choisie ne se cantonne pas à la période coloniale et à la guerre d’indépendance. Elle revient sur des siècles d’histoire, avec par exemple l’histoire de la reine berbère La Kahina, qui s’est révoltée contre la conquête des Omeyyades au VIIe siècle et qui meurt au combat dans les Aurès en 703 ; ou celle du souverain de Numidie Jugurtha, capturé et exécuté par l’envahisseur romain en 105 avant Jésus-Christ. L’homme, héros national et figure de la résistance, est aux Algériens ce que Vercingétorix est pour les Français.
Le livre rend particulièrement hommage aux grandes figures algériennes du XXe siècle, de Mouloud Feraoun à Ali Boumendjel, tous deux assassinés, l’un par l’OAS, l’autre par les parachutistes du général Massu, sur ordre du sinistre Aussaresses – le récent rapport remis par l’historien Benjamin Stora à Emmanuel Macron recommandait d’ailleurs à la France de reconnaître ce crime, ce qui fut fait dans la foulée.
Exhaustive et superbement illustrée et colorisée, cette bédé documentaire raconte aussi les résistances chez les Français, qu’ils soient militants, comme Maurice Audin, ou militaires, comme le général Jacques Pâris de Bollardière, seul officier supérieur alors en fonction à condamner l’usage de la torture en Algérie. Au passage, passionnante trajectoire que celle de ce haut gradé, compagnon de la Libération, qui avait passé sa jeunesse à vénérer Lyautey et qui finira par quitter l’armée française après le putsch militaire d’Alger, afin de ne pas «devenir le complice d’une aventure totalitaire». Il engagera le reste de sa vie dans le pacifisme, en soutenant notamment l’occupation du Larzac.
Les méfaits de la colonisation, et les drames qu’elle a engendrés, pendant et après la guerre – le difficile retour des pieds noirs, le rejet des harkis, les relations, parfois houleuses, entre Français et Algériens – constituent une histoire particulièrement douloureuse et controversée. Le livre rappelle à quel point, que ce soit sur le nombre de morts ou la date exacte de la fin de la guerre, aucun consensus n’a encore été trouvé entre la France et l’Algérie – on parle aujourd’hui de «guerre des mémoires». Mais par sa simple existence, il constitue une base extrêmement solide afin de faire comprendre aux adolescents ce qui s’est passé des deux côtés de la Méditerranée, voilà désormais plus de soixante ans.