De son vrai nom Nkosinathi Maphumulo, le DJ de 46 ans est loin d’être un petit nouveau sur la scène house sud-africaine. Depuis ses premiers succès, Black Coffee a engrangé plus de 15 ans de carrière à mixer des rythmes électroniques inspirés de pans de culture sud-africaine post-apartheid et de courants plus mondiaux. Il est aujourd’hui le DJ le plus connu du pays.
Une carrière qui n’avait pourtant rien d’évident pour l’homme aux lunettes carrées et à la barbe bien taillée, toujours très propre sur lui derrière ses platines. Né à l’est du pays, dans le township d’Umlazi, près de Durban, il a ensuite grandi près de sa grand-mère plus au sud, dans la ville de Mthatha, capitale d’un bantoustan, soit une zone réservée aux Noirs à l’époque de l’apartheid. Ses origines modestes ne l’empêchent pas de rêver grand, mais à 13 ans, un accident a failli lui être fatal : sorti célébrer dans la rue la libération de Nelson Mandela en février 1990, il est percuté par un taxi, ce qui laissera son bras droit paralysé.
Surmonter les obstacles
Après des études de jazz non terminées, il devient choriste pour le musicien Madala Kunene, puis forme le groupe Shana (Simply Hot and Naturally African) avec deux anciens amis de l’université, groupe qui sortira trois albums. Mais c’est en 2005 que sa carrière décolle vraiment, en solo, grâce à un remix du tube Stimela du trompettiste Hugh Masekela, réalisé grâce à un ordinateur et une souris. Il lance également la même année son label Soulistic Music, sous lequel sortira son premier album.
Les albums s’enchainent ensuite, où le DJ explore différents styles, et se fait en parallèle peu à peu un nom sur la scène internationale en mixant dans des boîtes du monde entier ou lors d’événements comme Coachella. Ses collaborations avec Alicia Keys ou encore Drake contribuent aussi à son succès, couronné en 2016 par un BET Award (récompenses décernées aux Etats-Unis aux artistes afro-américains et issus de minorités, NDLR). Pour ses fans comme Mduduzi, 22 ans, venu l’écouter mixer à Soweto, sa trajectoire est source d’inspiration : « Il a réussi à surmonter tous les obstacles, comme son milieu social, sa main paralysée : tout ça, il en a fait sa force et nous a montré que tout est possible. »
Repousser les frontières
Lors de la sortie de Subconsciously, son sixième album, le DJ connaissait une période mouvementée. Suite à son divorce en 2019 avec Enhle Mbali Mlotshwa, il faisait davantage la Une des journaux pour ses affaires judiciaires que pour sa musique, sa femme dénonçant des abus dans leur relation. Des accusations dont s’est défendu Black Coffee, renforcé par la décision d’un tribunal de refuser une ordonnance de protection à son ancienne conjointe. Les critiques n’ont, par la suite, pas été tendres avec lui lors de la réception de ce nouvel album, au son jugé trop commercial et international. « Mais c’était justement mon but » rétorque l’intéressé, « pour qu’il puisse être reconnu par les plus grandes récompenses. Je ne me suis jamais cantonné à un seul genre de musique, donc je voulais m’exprimer dans plus de formes différentes et cet album, c’est exactement ça. On a souvent trop peur de repousser les frontières » assume le musicien Sud-Africain.
Il aura une nouvelle fois su bien s’entourer, puisque David Guetta, Pharrell Williams et Usher sont notamment invités sur cet album. Et ce tournant musical aura malgré tout su convaincre certains fidèles, comme Sibusiso, qui suit sa musique depuis ses débuts : « Il veut amener cette house music sud-africaine au niveau supérieur, qu’elle soit entendue tous les jours à la télé. Moi, je dis qu’il faut être ouvert, travailler avec d’autres artistes. »
Rivaliser avec les meilleurs du monde
Black Coffee est le premier artiste africain à remporter un Grammy dans cette catégorie de meilleur album électronique. Car l’Afrique du Sud est plus habituée à être couronnée au titre de musique du monde : sur les sept Grammys remporté par des artistes sud-africains par le passé, tels que Miriam Makeba, le groupe Ladysmith Black Mambazo, ou le Soweto Gospel Choir, six l’ont été dans cette catégorie. Une classification qui n’est pas pour plaire au maître de la house sud-africaine : « J’ai toujours été très critique sur la façon dont nous sommes regroupés, en tant qu’Africains, dans ces catégories, créées pour que l’on soit en compétition entre nous » regrette-t-il, « car sur ce continent, nous avons le talent nécessaire pour rivaliser avec les meilleurs du monde, nous n’avons pas besoin de nous limiter. Alors cet album en particulier, je savais que je voulais le faire de cette façon, pour qu’il soit impossible qu’on me place dans une catégorie musique du monde ou africaine. »
« On est tellement fier de lui ! », s’époumone l’une de ses fans, Natefo, 19 ans, venue célébrer cette victoire lors de son concert retour à Soweto. « Le monde entend désormais parler de la musique sud-africaine, et de ce que les DJ et les artistes locaux sont capables de faire. Il y a d’autres jeunes qui admirent Black Coffee et se disent que s’il a été capable de gagner un Grammy, ils pourront aussi y arriver en travaillant dur, donc je pense qu’il ouvre de nouvelles portes. » L’escale sud-africaine sera de courte durée pour l’artiste, puisqu’il est attendu dès le mois prochain pour mixer à Ibiza.