«José Louis and the Paradox of Love»: un album, deux Pierre Kwenders

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« C’est mon histoire que je raconte, comme un livre ouvert. Une manière de dire : prenez-moi comme je suis. Et si vous vous retrouvez quelque part dans ces chansons, j’aurai fait quelque chose de bien. » Magistral, cet album. Le plus pop, mais surtout, le plus dansant de sa discographie, un disque qui paraît au moment où les musiques électroniques du continent africain ont enfin gagné la faveur des mélomanes occidentaux.

Il faudra plus qu’un coup de balai pour que cet espace où nous a donné rendez-vous Pierre Kwenders devienne le centre culturel, doublé d’une boîte de nuit avec terrasse, dont son équipe et lui rêvent depuis quelques années. Le musicien a aménagé son bureau de fortune dans un coin où s’entassent des boîtes de câbles audio, des chaises empilées, un sofa défraîchi et une console de son. Trois collaborateurs tiennent une réunion dans la grande salle adjacente qui, il y a une trentaine d’années, accueillait les danseurs dans ce haut lieu du nightlife montréalais qu’était le club Di Salvio.

« J’étais venu ici déjà, dans ma vingtaine, se rappelle Kwenders. C’est bien de faire revivre des lieux comme ça », même temporairement : l’édifice de deux étages, sis boulevard Saint-Laurent, au sud de la rue Prince-Arthur, rencontrera d’ici deux ans le pic des démolisseurs. Le projet devra se trouver un nouveau port d’attache, « mais de toute façon, avec Moonshine, on est habitués à changer de lieu ! » lance-t-il en faisant allusion aux fêtes mensuelles et nomades du collectif qu’il dirige avec l’ami Hervé Kalongo.

La dernière édition de cette fête mettant en valeur la diversité par la musique eut lieu le week-end dernier — Moonshine a toujours lieu après la pleine lune —, dans une des grandes salles du nouvel édifice de l’Agora de la danse qui, incidemment, abritait jadis l’after-hour SONA. « C’est symbolique ! » relève Kwenders, qui, il y a sept ans, a démarré ces fêtes marginales devenues aujourd’hui une marque internationale. Les événements Moonshine, qui diffusent les musiques électroniques de club inspirées des tendances musicales d’Afrique, des Antilles et d’Amérique du Sud se sont tenus à Los Angeles, à Lisbonne, à Paris, à Londres, à New York, entre autres villes hospitalières pour les musiques de pointe. Le collectif propose aussi des émissions radiophoniques sur les réputées stations Rinse FM et NTS Live.

Un pont entre deux mondes

Ce qu’il faut d’abord retenir de José Louis and the Paradox of Love, troisième album de Pierre Kwenders, c’est la réconciliation, attendue depuis longtemps, entre ses deux personnalités créatives, l’auteur-compositeur-interprète et le DJ. Alors qu’il tentait la fusion entre indie rock, grooves électroniques et références musicales africaines sur ses deux premiers albums, Kwenders fonce désormais sur le plancher de danse avec les chansons de cet album visionnaire dans sa fusion entre rumba congolaise, néo-R&B et house. « Je suis vraiment arrivé à concilier ces deux mondes, celui de Pierre-le-chanteur qu’on connaît, et de Pierre-le-DJ que plusieurs ne connaissent pas. Un pont entre deux mondes. »

L’affirmation est lancée dès l’ouverture de l’album, un long jam house percussif intitulé L.E.S. (Liberté Égalité Sagacité), coréalisé par le vétéran du house américain King Britt, auquel collaborent ses amis d’Arcade Fire Win Butler et Régine Chassagne. Plus de neuf minutes de groove en guise d’introduction, c’est couillu ! Et c’est voulu, confirme Kwenders : « J’ai des amis qui m’ont dit : “T’es fou de faire ça !” Et pourtant, c’est quelque chose de très congolais, parce que dans les albums de rumba, il y a la chanson-titre du disque — qu’on appelle le “générique” —, qui ne dure jamais moins de dix minutes. Cette chanson est un peu mon générique. »

Or, passé L.E.S., Pierre Kwenders s’adoucit. S’attendrit, même, lové dans un R&B électronique aux orchestrations minimalistes qui, quasiment partout, évoquent avec une extrême finesse le groove de la rumba congolaise. Dans le rythme suspendu et langoureux de la ballade Heartbeat (en duo avec la chanteuse Anaïs), ainsi que dans le thème même de la brillante Papa Wemba, une production signée Tendai « Baba » Maraire, du projet hip-hop expérimental américain Shabazz Palaces.

Hommages

Papa Wemba est une icône de la rumba congolaise à qui Kwenders tenait à rendre hommage : « Il a fait des choses incroyables pour la musique congolaise, explique-t-il. Tout artiste congolais de ma génération a grandi avec sa musique, la mienne étant beaucoup inspirée par son travail, dans ses textures, notamment. » L’album contient aussi un hommage à sa mère, qu’on entend souhaiter bon anniversaire à son fils dans un message laissé sur sa boîte vocale. « J’ai beaucoup parlé de femmes de ma vie dans mes albums, rappelle Pierre Kwenders. L’influence qu’ont eue sur moi mes tantes, ma grand-mère… Je me souviens, j’étais à Londres au moment de mon 34e anniversaire. Plus tard, à Lisbonne, avec Branko [réalisateur de l’album], j’ai eu cette idée de faire une chanson pour répondre à ma mère, pour parler de son amour, mais aussi pour répondre à ses doutes vis-à-vis de mes choix de vie et de carrière. Moi, j’ai fait mes études en comptabilité, j’avais une carrière. Alors, quand ton fils t’arrive en disant “Voilà, je veux faire de la musique”, c’est un choc, quand même ! »

C’est la grande réussite de cet album, sa capacité à être aussi pop qu’avant-gardiste, aussi poignant que dansant. « Il y a toujours eu une sorte de mélancolie dans mes chansons. À force d’écouter des gens comme Aznavour, j’ai fini par être affecté ! dévoile Kwenders. Mais je crois qu’il y a surtout une forme de joie, subtile, dans cet album. La joie de s’affirmer, de savoir qu’on arrive enfin à se comprendre soi-même, et surtout, la joie d’être capable de le partager avec les gens. »

SourceLe devoir
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