La force consolatrice d’Oumou Sangaré

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Elle possède ce charisme doux, cette voix affirmée, cette aura sereine d’une femme puissante, qui a su trouver, sans orgueil, sa place – et sa mission – dans le monde. À 54 ans, la reine Oumou Sangaré, énormes bagues rutilantes aux doigts, rayonne. Elle irradie. Et c’est cette même tendresse solaire, cet aplomb apaisé qui parcourent, avec l’éclat de l’évidence, les pistes de son nouveau sublime disque. Cette force magnétique mâtinée de velours tient peut-être aux conditions dans lesquelles Timbuktu fut enregistré.

Nous sommes début 2020. Pour se reposer de la troisième édition de son Festival international du Wassoulou, la chanteuse malienne s’envole pour New York… Las, le coronavirus la bloque dans la Grosse Pomme. À mesure que la pandémie s’éternise, elle s’éloigne de la jungle urbaine… Destination Baltimore, à 3h00 de route de New York, bourgade de 600 000 habitants, capitale du Maryland, à majorité afro-américaine. Coup de foudre : elle s’y sent chez elle. « C’est une ville calme, très verte… Elle aurait accueilli, semble-t-il, les premiers Noirs aux USA, explique-t-elle. Pour moi, les États-Unis ressemblent à l’Afrique, avec des rues très larges… » Sans hésiter, Oumou y achète un appartement.

Du blues afro-américain

Depuis ce nouveau pied-à-terre, elle planche sur de nouvelles créations. Et convoque, pour leur donner chair, un compagnon de jeu fidèle : Mamadou Sidibé, son joueur de n’goni, qui réside à Los Angeles.

Trois mois durant, les deux complices, assignés à résidence, se repaîtront de musique. « On dormait, on se levait, on travaillait, on dormait, on se levait, on travaillait, sans relâche, raconte-t-elle. Une bulle créative qui nous permettait d’être vigilants sur chaque note, chaque rythme… »

Son camarade vit depuis deux décennies sur le sol américain. De quoi se laisser tranquillement imbiber par le blues afro-américain, et le distiller dans chacune des pistes qui compose Timbuktu. Une coloration renforcée par l’itinéraire du troisième larron de l’histoire : l’auteur-compositeur et interprète Pascal Danaë, co-fondateur du groupe de blues créole rugueux Delgres, et réalisateur du disque.

Ainsi, aux cordes pentatoniques du luth africain, s’adjoignent des riffs plaintifs de guitares slide, des sons lancinants de dobro, ou de bottlenecks. Des couleurs du Mississippi, mêlées à la terre rouge du Mali, et aux chants de chasseurs du Wassoulou…

Parce qu’elle l’a enregistré à mille lieues de chez elle, Oumou Sangaré laisse couler des vagues de nostalgie dans chaque note de ce disque. « J’étais séparée de mon fils, et de mes princesses, mes petites filles, dit-elle. Loin de mon pays aussi. Dans Timbuktu, je chante la distance, mais aussi l’amour pour mes racines. »

Plus précisément, la diva y évoque la solitude (Degui N’Kelena), les enfants qui mendient devant les mosquées au lieu d’aller à l’école (Demissimw), ou encore ces femmes accablées par les charges domestiques (Sira). Car, depuis ses débuts, la solide Oumou chante contre la maltraitance des enfants et pour l’émancipation des femmes : son combat, inaltérable…

« Leur situation s’est, bien sûr, améliorée, mais tant qu’elles ne seront pas considérées comme des êtres humains à part entière, je continuerai de lutter », assure l’artiste, érigée comme modèle par Aya Nakamura et Beyoncé.

Y compris à l’autre bout de la planète, des multitudes la suivent : « Au Mexique, de nombreuses femmes sont venues me chercher à l’aéroport, elles m’ont expliqué leurs combats… Là-bas, on échange parfois des femmes contre des bouteilles de vin…  » À toutes, la chanteuse adresse sa leçon de vie : « Il faut être sûre de soi, avoir confiance. Et ne jamais se minimiser… »

Femme d’affaires et voix magique

Ainsi, au quotidien, Oumou la guerrière, la femme d’affaires, livre-t-elle ses batailles, d’abord économiques. Pour une indépendance accrue, et aussi pour venir en aide à son pays, elle a développé plusieurs business, dans l’hôtellerie, l’agriculture, la pêche, le secteur automobile… Elle a fondé son label et son festival.

Aujourd’hui, cette ambassadrice de bonne volonté de la FAO (Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture), se désole de la crise politique dans son pays, dont les conséquences retomberont forcément avec violence sur la société civile. De même, le titre de son disque rend-il hommage à Tombouctou, et au saccage de ses mausolées, patrimoine mondial de l’Unesco, par les djihadistes, en 2012.

Pourtant, sa seule et véritable arme reste sa voix. Un trésor enfoui en elle, qui bouleverse son public aux quatre coins de son continent. « Quand je chante au Niger, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, les femmes ne comprennent pas mes textes, mais elles fondent en larmes. Elles ressentent mon message… », dit-elle.

Ce miracle lui fut révélé alors qu’elle n’avait que cinq ans. « J’ai toujours chanté pour moi-même, je n’avais rien à perdre, je chantais jusqu’à ce que mes larmes sortent, apaisent mon intérieur, confie-t-elle. Enfant, j’ai beaucoup souffert, avec un papa polygame, une maman délaissée, seule avec deux enfants. Je la suivais dans les cérémonies. Un jour dans un baptême, le public entier a fondu en larmes en entendant ma voix. Depuis lors, je poursuis cette méthode. Je chante d’abord pour moi-même, pour me soulager, pour me consoler. Et en me soulageant, je console aussi les autres. » Et c’est bien ce qui ressort de ce disque : sa force consolatrice. L’un de ses albums dont chaque écoute apaise le cœur.

SourceRFI
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