Depuis de nombreuses années, le Sahel symbolise le terrain par excellence où le terrorisme islamiste travaille à s’implanter durablement. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont aux prises avec des insurrections djihadistes et les États voisins, comme le Ghana, le Bénin et la Côte d’Ivoire, qui observent quelques tentatives d’incursion, s’inquiètent de débordements à leurs frontières. Selon le ministre ghanéen de la Défense, Dominic Nitiwul, en trois ans, la région a subi plus de 5 300 attaques imputées aux terroristes. Celles-ci ont fait environ 16 000 morts et davantage de déplacés. Entre janvier et mars, plus de 840 attaques ont eu lieu, mettant à mal les projets de développement dans plusieurs États ouest-africains. Ce sont autant de raisons qui ont poussé les gouvernants à décider de mutualiser leurs efforts. Aussi, la réunion de deux jours que les chefs d’état-major des pays de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont entamée ce jeudi à Accra, au Ghana, se justifie-t-elle dans la mesure où elle vise à renforcer la coopération militaire afin d’éradiquer l’insécurité dans la sous-région.
La prise de conscience de l’étendue et de la profondeur de la menace
Dans une de ses rares interventions, début février 2021, le Français Bernard Émié, chef de la Direction générale de sécurité extérieure (DGSE), alertait sur les projets d’expansion des responsables d’al-Qaïda au Sahel vers les pays du golfe de Guinée. Ces pays sont désormais des cibles eux aussi. Selon certains analystes sécuritaires, pour parvenir à couvrir toute la zone ouest-africaine pour ces opérations d’attaques djihadistes, les terroristes bénéficient de relais dans plusieurs pays.
Dans une tribune publiée le 15 avril 2022, Maryse Quashie, universitaire et maîtresse de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Lomé, au Togo, affirme qu’« il est difficile de bien comprendre comment ces groupes sont nés, quel est le point commun des personnes qui en font partie et quels sont leurs objectifs ». En effet, pour atteindre leur objectif, ces groupes n’hésitent pas à recruter des combattants au sein de la population cible, particulièrement des jeunes désœuvrés.
« Nous savons que les communautés sont durement touchées par la pauvreté et le chômage au Mali, au Niger, au Burkina Faso. Je dis cela parce que nous travaillons sur le terrain pour le développement des jeunes. Tant que les autorités de nos pays, en Afrique de l’Ouest, continueront d’ignorer la véritable aspiration de la jeunesse, il sera difficile de gagner cette guerre contre le terrorisme dans cette région. La seule véritable origine du terrorisme est la pauvreté et les frustrations », a expliqué Georges Klutsé, secrétaire général du Regroupement des jeunes Africains pour la démocratie et le développement (REJJAD), une ONG œuvrant dans l’humanitaire et implantée dans plusieurs pays de la sous-région.
Les pays du Sahel organisent ensemble la riposte militaire
La présence de l’opération Barkhane, la mission de l’ONU au Mali (Minusma) et la mise en place du G5 Sahel n’ont pas pu endiguer le terrorisme dans différents pays d’Afrique de l’Ouest. De même, la stratégie antiterroriste régionale et le plan de mise en œuvre adoptés en 2013 par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) n’ont jamais été appliqués.
Pour faire réellement faire face à ce fléau, quatre pays, le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana et le Togo, ont signé en septembre 2017, l’Initiative d’Accra qui a permis de mettre sur pied une opération militaire conjointe baptisée « Koundalgou ». Son objectif est de renforcer la coopération en matière de sécurité et de partage de renseignements entre les pays signataires. L’opération « Koundalgou », dont la quatrième phase s’est déroulée du 21 au 27 novembre 2021 avec plus de 5 720 soldats, a permis l’arrestation de 300 suspects et la saisie d’importants stocks d’armes et de munitions.
À la suite des menaces terroristes incessantes sur les pays côtiers, « l’opération Koundalgou renforcée » s’est élargie aux autres pays de la sous-région, notamment le Mali, le Niger et la Côte d’Ivoire. À Cotonou, le 13 avril 2022, une nouvelle opération conjointe d’envergure d’une durée de douze mois a été validée par les ministres de l’Intérieur des pays membres. Sept pays devraient y participer et la date du début de cette opération est tenue secrète. Les zones frontalières seront les principaux champs concernés. « Le terrorisme ne peut plus être vu comme un problème du Mali, du Niger ou du Burkina Faso. Cela devient un problème de la sous-région, et donc de la Cedeao », a déclaré le président togolais, Faure Gnassingbé, lors de sa visite le 16 avril dernier en Côte d’Ivoire.
« Flintlock », l’exercice régulier opéré avec les Américains
Outre ces mesures prises par les États ouest-africains, l’armée américaine a entrepris depuis 2005 un exercice militaire dénommé « Flintlock ». Celui-ci a pour but de renforcer les capacités des armées africaines à contrer le terrorisme, à collaborer au-delà des frontières et à assurer la sécurité des populations. Selon le contre-amiral Milton Sands, commandant des opérations spéciales en Afrique, « les efforts combinés de la communauté font de Flintlock plus qu’un exercice militaire. Nous nous entraînons ensemble, partageons les charges, augmentons l’interopérabilité et construisons des relations. Il en résulte la ressource la plus importante de Flintlock. » Pour une mutualisation beaucoup plus accrue des efforts, les chefs des services de renseignements du Togo, du Bénin, du Ghana et la Côte d’Ivoire ont récemment pris part à une réunion à huis clos en avril dans la capitale béninoise afin d’échanger sur les approches de solutions dans la traque des djihadistes.