Deux amis séduisent Paris avec le couscous juif tunisien de leur enfance

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Quand ils n’étaient encore que des enfants arpentant le goudron parisien, Alexandre David et Alexis Memmi attendaient chaque année avec impatience le début de l’été – cette période privilégiée pendant laquelle ils partaient passer leurs vacances chez leurs grands-parents en Tunisie.

L’été, c’était les folâtreries sur les plages, sous un soleil brûlant ; c’était les jeux dans les rues du quartier juif de Tunis, la capitale, où vivaient leurs familles – mais c’était aussi cette kyrielle de plats séfarades préparés avec amour par leurs grands-mères, avec des recettes transmises et améliorées au fil des générations.

Ces deux amis d’enfance s’étaient solennellement fait une promesse pendant l’un de ces étés.

« On s’était dit que, quand on serait grands, on ouvrirait un restaurant ensemble et qu’on servirait tous ces plats dans le centre de Paris », confie aujourd’hui David, 35 ans, à JTA.

Cela a pris un peu plus de temps que prévu, mais ce rêve d’enfant est finalement devenu réalité avec le Mabrouk, un restaurant casher que les deux amis ont ouvert en 2019 et qui vise à permettre aux Parisiens de découvrir les plats séfarades tunisiens.

Le Mabrouk, qui a obtenu des critiques élogieuses dans des journaux majeurs – notamment Elle et Nouvelles Gastronomiques – a été créé alors que la cuisine nord-africaine devient de plus en plus tendance en France. Si le couscous et les merguez sont présents dans les communautés d’immigrants et dans de nombreux restaurants depuis que l’immigration en provenance du Maghreb s’est affirmée, dans les années 1950, une nouvelle génération de restaurants proposent désormais une gamme beaucoup plus large de plats, à destination d’un profil de clients bien plus diversifié.

Cette tendance comprend l’établissement 1000 & 1 Signes, qui a ouvert ses portes en 2013 et dont la liste d’objectifs comprend un soutien apporté aux sourds et aux malentendants, ainsi que le Kous Bar, un restaurant bien pensé où les clients peuvent choisir la garniture de leur couscous, comme c’est le cas dans les bars à salades.

Mais le Mabrouk est sans doute le seul acteur ouvertement juif à s’illustrer dans cette nouvelle vague culinaire, avec un menu qui reflète les habitudes et les sensibilités des Juifs d’Afrique du Nord. Les clients du Mabrouk peuvent commander de la pkaila — un plat chaud typiquement juif tunisien qui, selon certains, est une variante locale du tcholent – et du sabayon, une glace aux œufs populaire auprès des Juifs pratiquants parce qu’elle ne contient aucun produit laitier, ce qui rend l’interdiction faite de mélanger du lait et de la viande plus facile à respecter. Au Mabrouk, il est servi avec un zeste de citron qui contraste de manière exquise avec son crémeux joliment jaune.

« Nous servons des plats séfarades avec une touche française contemporaine », a récemment expliqué Alexandre David à JTA.

Sur le menu, se trouvent les plats que sa grand-mère et que celle de Memmi servaient à la table familiale à Tunis, a expliqué David, qui a assuré le service pendant le rush du midi ces derniers temps en raison de la pénurie de personnel entraînée par le COVID-19.

Une entrée se nomme Boutargue Memmi — des œufs de mulet salés au citron –, et elle porte le nom de l’aïeule qui l’a inspirée.

Alexis Memmi, 32 ans, est un entrepreneur autodidacte qui n’a jamais fréquenté les bancs de l’université et qui a travaillé pendant plusieurs années dans un restaurant asiatique de New York, le Beau Café, où il a commencé comme serveur avant de devenir manager (le restaurant a depuis fermé ses portes). Alexandre, son ami d’enfance, a aussi travaillé dans la restauration et a été responsable d’une brasserie dans le Marais, quartier historique de la communauté juive de Paris.

Les deux amis, qui se disent tous les deux laïcs mais qui affirment avoir « beaucoup de respect pour les traditions juives » – comme le dit David – ont décidé d’ouvrir le Mabrouk immédiatement après le retour de New York de Memmi, en 2018.

Un autre plat servi au Mabrouk, le Djerba Bowl, porte le nom de l’île du sud de la Tunisie qui est, depuis des siècles, un centre de la vie juive tunisienne. Il s’agit d’un Tartare de daurade avec des olives, des carottes, du caviar de courgette, du tahina à l’aubergine et du hoummous vert servi avec de la semoule, du riz et du quinoa, ce qui est rare dans les restaurants tunisiens.

Et un troisième plat, l’AbitBowl, combine des boulettes de viande épicées, de la crème de sésame et de l’oignon caramélisé. Son nom part d’un jeu de mots sur Abitbol, un nom de famille juif séfarade extrêmement répandu en Afrique du Nord, en France et en Israël.

La viande servie au Mabrouk est certifiée casher et les méthodes de préparation respectent la casheroute et aussi les règles du halal – mais le restaurant en lui-même n’est pas certifié casher ou halal, et il n’est pas supervisé pour ça, indique David. L’obtention d’un certificat casher nécessiterait de fermer le vendredi soir et le samedi, ce qui impliquerait de changer l’accessibilité qui se trouve au cœur du modèle commercial du restaurant (le prix des plats principaux va de 13 à 20 euros).

Mais cela changerait aussi quelque chose d’important dans le caractère même du lieu, ajoute David.

« Nous voulons quitter le communautarisme. Le Mabrouk doit être un endroit que les Juifs, les musulmans, les chrétiens et les bouddhistes doivent pouvoir considérer comme étant le leur », explique David.

La viande casher fait plaisir à un grand nombre de Juifs et de musulmans français – si ce n’est pas à tous – parce que la majorité des Juifs français ne sont pas très pratiquants et que la majorité des musulmans considèrent la viande casher comme halal, continue-t-il.

Les propriétaires ont fait le choix de ne pas souligner ni dissimuler le caractère juif du restaurant, poursuit-il.

« Notre mission, c’était de présenter la cuisine juive tunisienne et de la mettre au cœur d’un restaurant 2.0. On voulait la rendre tendance, lui donner son côté hipster« , explique David. « Et nous le faisons en prenant des plats et en les adaptant en leur donnant les codes culturels de la culture de la restauration française. »

Le Mabrouk — dont le nom, en arabe, signifie « Félicitations » – ne ressemble en rien aux autres restaurants vendant du couscous qui parsèment Paris. Le design intérieur est riche en bleu méditerranéen et en motifs de mosaïque – mais il ressemble malgré tout à une brasserie typique, sans aucun des matériels de cuisine ou musique d’arrière-fond qui caractérisent souvent les restaurants traditionnels de couscous.

« Les plats sont authentiquement tunisiens, authentiquement séfarades, mais c’est bien un restaurant français situé au cœur de Paris », dit David.

La principale inspiration en matière de conception, pour le Mabrouk, a été le célèbre Café de Flore, ô combien parisien, qui est l’un des cafés les plus anciens et les plus connus de la capitale, réputé pour avoir été le refuge favori des intellectuels et des artistes – entre autres, de Georges Bataille et de Pablo Picasso.

« On n’a jamais voulu que les clients aient le sentiment d’être en Tunisie. Ce n’est pas nécessaire », explique David.

Laura Ventura, une cliente régulière du Mabrouk qui est elle-même propriétaire d’un restaurant parisien, explique que c’est très précisément la discrétion de la conception et de la décoration qui l’a de prime abord séduite.

« C’est différent des autres restaurants de couscous parce que ce n’est pas kitsch. C’est Juif tunisien sans pour autant vous rappeler constamment que ça l’est », commente Ventura, Juif séfarade d’origine tunisienne et marocaine.

« J’adore la cuisine, que je connais parce que je la mangeais à la table familiale, et j’adore le lieu parce que c’est un restaurant qui me parle, dans le centre de Paris, là où je travaille », ajoute-t-elle.

Les musulmans tunisiens viennent aussi au Mabrouk. C’est le cas notamment de Malika Bouchareb, gérante d’une boutique de décoration originaire de Paris.

« C’est un endroit très accueillant, j’adore venir ici avec des amis et j’apprécie qu’il y ait des plats qui me parlent culturellement », dit-elle, ajoutant que, si elle adore la pkaila, son plat favori reste la mechouia, une salade de légumes grillés riche en aubergines et en ail, parfois servie avec un œuf cuit. « Je ne mange pas halal et cela ne me dérange pas de manger de la nourriture casher ou juive. Ça m’est égal, franchement. »

Pour que le Mabrouk se démarque à Paris, les recettes familiales ont dû être remises au goût du jour.

« Il fallait qu’on allège un peu », dit David, notant le caractère huileux de l’alimentation traditionnelle tunisienne. Sa grand-mère, Aline, 85 ans, « commence à cuisiner en mettant une quantité d’huile d’olive généreuse dans une poêle. C’est seulement après qu’elle réfléchit à ce qu’elle veut cuisiner », s’esclaffe son petit-fils.

Pour les aider, ils ont embauché Daniel Renaudie, un ancien journaliste franco-israélien devenu un chef reconnu à Paris.

David et Memmi ont compris qu’ils avaient remporté leur défi quand même des touristes japonais qui, selon David, ont une aversion pour la cuisine grasse, ont été satisfaits. « Quand on a vu ça, on s’est dit : mission accomplie », raconte David.

Et les choses fonctionnent bien pour le Mabrouk. Il est souvent bondé, avec des clients qui attendent d’avoir une table. Ce qui fait réfléchir ses propriétaires à l’ouverture de nouvelles enseignes : à New York d’abord, puis à Londres, et ensuite, peut-être, à Tel Aviv ou Jérusalem.

La pandémie de COVID, qui a obligé le restaurant à baisser le rideau pendant des mois peu après son ouverture, avait conduit David et Memmi à douter.

« On voulait vraiment devenir les ambassadeurs de la cuisine séfarade tunisienne dans la société française au sens large parce qu’elle nous passionnait », explique David. « Et c’est formidable de voir les choses réellement décoller aujourd’hui. »

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