Dimanche matin à Lomé. Il est 6 h 30 lorsqu’une foule d’environ 250 personnes composée de jeunes, d’enfants et d’adultes, tous munis d’un grand sac en plastique noir et d’une canne destinée à ramasser les déchets plastiques, attend le coup d’envoi de la course. C’est Felix Tagba à la tête de ce mouvement qui le donne à 7 heures pile. Les participants reprennent en chœur leur cri de ralliement : « Éco-jogging, courons et sauvons la planète ! » Au bout de trois heures et d’une course de 3,6 km, ils ont réussi à ramasser 150 kg de déchets plastiques. Mis en œuvre en janvier 2017 à Lomé, l’éco-jogging consiste à faire du footing tout en ramassant des déchets, surtout les sachets plastiques, lesquels seront recyclés plus tard. « Courir ou marcher contribue à la bonne santé de l’homme, et en même temps on protège l’environnement parce qu’un seul déchet plastique par exemple peut faire plus de 400 ans dans la nature avant de se dégrader. Ces déchets sont parfois à l’origine des inondations et d’autres choses. Donc, on fait du bien à notre corps et à notre environnement », confie Félix Tagba à l’origine de ce concept d’éco-jogging.
Au-delà du concept, un mouvement écologiste
Au Togo, le mouvement rassemble environ 1 000 membres dans les 5 régions que compte le pays. Selon les chiffres officiels, Lomé, la capitale togolaise, produit chaque année près de 62 600 tonnes de déchets plastiques qui, la plupart du temps, sont jetées dans la nature, rendant la ville insalubre. « Nous avons lancé ce mouvement parce que nous avons remarqué qu’il y a de plus en plus de déchets dans la nature, et en plus les gens ne font pas de sport », indique Félix Tagba.
Depuis son lancement en janvier 2017, l’initiative a collecté plus de 15 tonnes de déchets plastiques. Ceux-ci, ramassés dans les rues après les séances de l’éco-jogging, ne sont pas brûlés. Ils sont acheminés vers des usines de recyclage pour leur transformation. « Les déchets que nous ramassons, nous ne les jetons pas. Nous leur donnons une autre vie. Nous utilisons une partie pour confectionner des grands sacs dans lesquels nous collectons les déchets et une autre partie va aux structures de recyclage qui les transforment », indique Félix Tagba. « Nous sommes également dans le social parce que parfois nous donnons ces déchets aux prisonniers et aux bonnes dames puisque ça les aide à trouver de quoi vivre », a-t-il ajouté.
Aujourd’hui, le mouvement a réussi à signer des partenariats avec des structures spécialisées dans le recyclage des déchets plastiques un peu partout dans les pays africains où il est implanté. En effet, pour les éco-joggeurs, l’essentiel n’est pas la collecte des tonnes de déchets plastiques jonchant les artères des villes, mais de savoir leur redonner vie à travers le recyclage. Certaines associations travaillant dans le domaine du recyclage des plastiques dans la capitale togolaise achètent ces déchets à hauteur de 75 francs CFA le kilogramme. Une belle initiative, selon Félix Tagba, qui pense que « les déchets sont devenus aujourd’hui source de richesse ».
Au cœur des actes posés, le recyclage des déchets
Les déchets collectés suivent un processus bien établi avant leur transformation. Ceux-ci sont triés et classés par catégorie avant d’être acheminés vers les unités industrielles pour en faire des objets réutilisables. « Le recyclage au sein de notre unité dénommée GIP permet de sortir trois sous-produits : les broyés, les granulés et les pavés en plastique. Nous utilisons donc ces plastiques collectés lors des activités de sensibilisation d’éco-jogging.
Ces produits ressortis intéressent les industriels qui réutilisent ce type de plastique devenu objets plastiques, notamment des tuyaux PVC, des seaux, des bassines, des chaises, des tables, etc. », explique Gado Bemah, président de l’ONG Science et technologie africaine pour un développement durable (Stadd). « Le produit fini donne notamment des matériaux de construction et des pavés qui sont utilisés pour revêtir des chaussées, des trottoirs mais aussi pour créer des espaces verts au niveau des communes », a-t-il souligné.
Éco-jogging connaît une forte approbation
L’appel à ce mouvement lancé sur les réseaux sociaux il y a cinq ans a reçu une adhésion populaire au Togo. Plusieurs personnalités se joignent de temps en temps à l’initiative. « Nous n’avons pas eu la chance d’avoir des initiatives de cette envergure par le passé. Maintenant que nous l’avons, on a la possibilité de la soutenir par notre présence simplement. Alors nous n’hésitons pas, afin que les générations futures puissent nous emboîter le pas et, par ricochet, permettre à notre ville, et pourquoi pas au monde entier, de disposer d’un espace propre », déclare Toba Tanama, ancien directeur de l’information et de la communication de la présidence togolaise.
Pour le parlementaire togolais Ameganvi Kodjo Tsitsopé, il est important de « sensibiliser à la protection de l’environnement et en même temps faire une activité physique pour se maintenir en forme. Un corps sain dans un environnement sain, c’est ce qui nous motive à participer à l’éco-jogging », dit-il.
Le plastique, cet ennemi intime…
Lors de la cinquième session de l’Assemblée générale des Nations unies pour l’environnement tenue le 28 février 2022 à Nairobi au Kenya, le président de l’UNEA-5, Espen Barth Eide, a indiqué que la pollution par les plastiques est devenue une véritable épidémie. Paradoxalement, les plastiques font partie des produits les plus durables que les humains aient fabriqués. Et pourtant, il est souvent jeté. « Le plastique est un produit qui peut être réutilisé, puis réutilisé encore et encore, si nous l’intégrons à une économie circulaire », soutient Espen Barth. Le ministre norvégien du Climat et de l’Environnement est d’ailleurs « convaincu que le moment est venu d’adopter un traité juridiquement contraignant pour mettre fin à la pollution par les plastiques ».
… qui frappe l’Afrique de plein fouet
Aujourd’hui, le continent africain subit de plein fouet les conséquences néfastes de la pollution des plastiques alors qu’il produit seulement 7 % des déchets plastiques de la planète. On retrouve dans de nombreuses zones urbaines africaines des déchets plastiques qui obstruent les cours d’eau, provoquant d’innombrables inondations et destructions.
Certains États ont pris des initiatives pour limiter l’usage des sachets en plastique non dégradables, mais cela a été peine perdue. Fort de ce constat alarmant, les leaders communautaires n’hésitent pas à adhérer à ce nouveau concept un peu partout dans les pays africains. « Mon idée principale est de tout faire pour éliminer les dépotoirs sauvages. Je compte sur ces associations pour y arriver et ai déjà pris la décision. Au moins une fois par mois, nous essayerons de faire cette activité », a expliqué Edoe Guun, maire de la commune des Lacs 3 après une séance d’éco-jogging organisée en novembre 2021 dans sa localité sise à 45 kilomètres de Lomé, la capitale togolaise.
Et demain alors ?
On estime qu’environ 1,3 milliard de tonnes de plastique seront éparpillées dans la nature – tant sur terre que dans l’océan – d’ici à 2040 s’il n’y a pas une prise de conscience au niveau des décideurs. Face à l’ampleur du phénomène, l’objectif du jeune Félix Tagba est d’arriver à couvrir tous les pays du monde et d’impliquer le monde dans ce mouvement. En effet, une journée mondiale d’éco-jogging est célébrée tous les derniers samedis du mois de juin. Cette année, la quatrième édition coïncide avec la Coupe du monde d’éco-jogging qui aura lieu au Burkina Faso la dernière semaine du mois de juin.
« La Coupe du monde d’éco-jogging est une compétition qui rassemble plusieurs pays. Ils vont courir ou marcher tout en ramassant les déchets plastiques qui seront recyclés. Donc, le pays qui aura ramassé plus de déchets partira avec un trophée », a expliqué Félix Tagba. La première édition s’est déroulée à Lomé en 2019 et a été remportée par une équipe mixte de l’Union européenne.
Le nouveau concept né au Togo qui allie sport et protection de l’environnement a aujourd’hui le vent en poupe. Il est pratiqué par environ 6 000 éco-joggeurs dans 18 pays à travers le monde, dont 14 se trouvant sur le continent. Cet engouement qu’il suscite en Afrique illustre la volonté manifeste de la nouvelle génération africaine à lutter contre la prolifération des déchets plastiques. Déjà, certains pratiquants espèrent que ce concept évoluera vers une discipline sportive à part entière dans les années à venir sur le continent africain.