Un colloque sur la diffusion de la musique en Afrique … avant 1650

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Les études des musicologues ont longtemps considéré la musique africaine comme une forme d’art rudimentaire ou, au pire, inexistante, sans histoire ni sources. Ce qui ne s’écrit pas ne s’entendait pas!

Or des études ont pu démontrer récemment la richesse d’un patrimoine musical multiforme en Afrique, mais aussi le rôle actif des Africains dans le développement et le façonnement des pratiques et cultures musicales sur d’autres continents. C’est à ce sujet novateur que trois chercheuses et chercheur d’Afrique du Sud, d’Italie et de France consacrent une rencontre internationale pendant trois jours au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (CESR) de Tours.

.Nous avons rencontré Camilla Cavicchi qui enseigne à l’Université de Padoue et qui organise le colloque avec Janie Cole, Associate Lecturer à l’Université de Cape Town en Afrique du Sud, et Philippe Vendrix, qui dirige le programme de recherche Ricercar au CNRS. Elle nous rappelle que ce sont les ethnomusicologues dans les années 1950 et 1960, en s’intéressant les premiers aux musiques sans partition, qui ont ouvert la voie à cette nouvelle histoire globale de la musique qui inscrit la musique africaine à sa juste place.

Roberto Leydi à Bologne fut une figure importante parmi ces musicologues qui ont porté une attention aux cultures délaissées. Dans son ouvrage au titre polémique, L’altra musica (1991), Roberto Leydi a commencé à couvrir les différents domaines de la musique populaire, tant non-européenne qu’européenne, à travers les siècles. Jadis les traités de musique européens n’hésitaient pourtant pas à intégrer certains instruments africains, comme le fit Michael Praetorius dans son ouvrage De Organographia en 1619 ou Filippo Bonanni qui représentait différents tambours africains en 1723 (voir ill. 1). Mais, peu à peu, la musique occidentale écrite a supplanté celles des autres continents.

Un travail énorme s’entreprend aujourd’hui et permet à des chercheurs de rédiger une histoire qui intègre non seulement la musique africaine dans le « récit officiel », mais surtout montre le dynamisme extraordinaire de cet art, au sein du continent africain, et l’influence qu’il a exercé sur d’autres continents (dont l’Asie, le Moyen-Orient, l’Europe et le Nouveau monde) de la fin du Moyen Âge au début de l’ère moderne (1300-1650).

C’est à cette tâche que vont s’atteler chercheurs africains, européens et américains pendant trois jours. Il s’agira de se concentrer sur les traditions musicales de différentes régions du continent africain, notamment l’Afrique australe (Afrique du Sud, Eswatini, Zimbabwe), l’Afrique de l’Ouest (Ghana, Sénégal), l’Afrique centrale (Cameroun, Congo), l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique (Ethiopie, Kenya, Tanzanie) et l’Afrique du Nord (Egypte, Maroc, Tunisie).

Mais comment écrit-on l’histoire de la musique sans partition ni enregistrement, sans Deezer ni Spotify? Les moyens sont multiples.

Les rites et coutumes cérémonielles
D’abord, nous dit Camilla Cavicchi, il faut étudier les rites et coutumes cérémonielles que l’on trouve dans les récits, par exemple, ceux du diplomate et juriste arabe, Hasan ben Mohammed al-Zaiyati. Fait prisonnier par des pirates chrétiens et remis au pape Léon X à Rome en 1517, il se convertit au christianisme et prend le nom de Léon l’Africain. Il opère ensuite comme ambassadeur et médiateur entre les mondes chrétien et arabe.

Dans sa Description de l’Afrique (écrite entre 1523 et 1526), il nous relate une cérémonie funéraire dans l’ancienne ville impériale de Fès au Maroc, où il a vécu: « Lorsque les femmes portent le deuil de leur mari, père, mère ou frère, elles se rassemblent et, après s’être dépouillées de leurs vêtements, elles enfilent de grands sacs. Enlèvent leurs vêtements, se frottent le visage avec, puis font venir à eux ces méchants hommes en habits de femme, qui portent certains tambours carrés : lorsqu’ils en jouent, ils chantent soudain des vers tristes et larmoyants à la louange du mort, et à la fin de chaque vers, les femmes pleurent à haute voix, et se frappent la poitrine et les joues, de sorte qu’une grande quantité de sang s’écoule. Et elles se déchirent les cheveux, tout en pleurant et en criant fort. Cette coutume dure sept jours ; puis ils s’interrompent pendant quarante jours, pendant lesquels lesdits pleurs sont répétés pendant trois autres jours continus. Et tel est l’usage courant du peuple. Les plus honnêtes hommes pleurent sans coup férir ; leurs amis Leurs amis viennent les réconforter, et tous leurs proches parents leur envoient des cadeaux de nourriture, car dans la maison des morts, tant qu’il y a un corps, il n’est pas coutume de cuisiner, et les femmes n’ont pas l’habitude d’accompagner les morts, même s’il s’agit de pères ou de frères. »

Si ce récit à Fès n’est pas sans évoquer l’extraordinaire passage homérique de la complainte pour la mort d’Hector dans l’Iliade (XXIV, 710-723), les ethno-musicologues ou historiens y repèrent d’abord la présence de ces musiciens en tenue féminine et l’utilisation du tambourin carré.

L’observation des oeuvres d’art
Pour tenter de raconter cette histoire globale qui intègre la musique du continent africain, une autre source importante pour Camilla Cavicchi est l’observation des œuvres d’art. Ce tambourin carré se retrouve, notamment, représenté sur les peintures du plafond en bois réalisées par des artisans arabes vers 1150 après J.-C. dans la chapelle palatine de Palerme (ill. 2). Le batteur y joue avec d’autres musiciens la musique d’al-janna, le paradis décrit par le Coran.

Les Africains n’ont d’ailleurs pas manqué de représenter leurs musiciens et leurs instruments, tel ce très beau joueur de cor de la garde royale de l’Oba du Bénin (ill. 3), datant de la fin du XVIe siècle, conservé non au Bénin mais à Londres au British Museum. Nous reviendrons prochainement sur cette problématique du « déplacement » des œuvres d’art, dans une série d’articles traitant du thème de la restitution. Symboliquement, cette œuvre béninoise a été choisie pour illustrer l’affiche du colloque (ill. 4).

Les récits de voyage
Camilla Cavicchi attire ensuite notre attention sur une autre source très étudiée actuellement : la lecture des chroniques et journaux de voyage. Un groupe de recherche à l’Université de Padoue se concentre d’ailleurs sur l’étude de ces récits riches en notation pour cette nouvelle histoire de la musique, depuis Christophe Colomb jusqu’à Darwin.

Ce colloque de Tours va alterner des sessions consacrées à des zones géographiques en Afrique et à la thématique des influences de l’Afrique en Europe, avec des tables rondes dont l’une sur la décolonisation, ainsi qu’un atelier d’interprétation musicale historique.

On terminera par un regret. S’il est remarquable que les organisateur et organisatrices se soient démenés pour trouver les financements permettant à tous les intervenants de se rencontrer en France, il est regrettable que les problèmes récurrents de visas, ou de vaccin et pour finir l’augmentation des prix des vols en raison de la guerre en Ukraine empêchent la majorité des chercheurs africains d’être présents en France, les obligeant d’intervenir via Zoom, les privant ainsi du fruit des discussions informelles qui, on le sait, font le plus avancer la recherche.

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