Créativité… transmission… tendances: les credo de la boutique Afrikalab à la rue des Grottes à Genève sont tagués au mur. Dans leur échoppe, les produits de beauté, les épices et spécialités côtoient les pagnes, kimonos pour certains en wax, cette étoffe aux motifs fleuris, animaliers ou géométriques devenue l’une des nouvelles cartes de visite de l’Afrique.
Cinq pour cent, c’est la proportion de fabrication de tissu wax qui parvient à se maintenir sur le continent, contre 95% de «made in Asia». C’est sur ces 5% que Caroline et Perrine, les deux gérantes de la boutique Afrikalab et fondatrices du collectif WaxUp Africa, ont décidé de miser. Caroline est passionnée de tissus depuis vingt ans et Perrine, métisse franco-camerounaise, cherche à rendre hommage en actes à tout ce que le continent lui a apporté. Leurs slogans: défendre le «made in Africa» et «acheter conscient».
L’impulsion de Beyoncé ou Rihanna
WaxUp Africa (WUA) a été conçu en 2013 non seulement comme un collectif mais aussi comme un mouvement. Il rassemble 15 membres actifs et 50 sympathisants, gère une plateforme internet, est présent dans les grands festivals romands, propose ses collections de prêt-à-porter, produit des accessoires pour des entreprises éthiques, a fourni à la ville de Genève le tissu qui a permis aux migrants de fabriquer des masques artisanaux au début de la pandémie. Perrine anime également des ateliers sur le textile et l’équipe coordonne des rencontres et des activités de sensibilisation sur l’Afrique pour transmettre une «autre vision que celle, catastrophique, généralement véhiculée dans les écoles et les médias».
Il y a une dizaine d’années, Beyoncé, Rihanna, Alicia Keys et consorts ont commencé à s’afficher avec des habits ou accessoires en wax. Agnès B, Jean-Paul Gaultier, Stella McCartney ou Victor & Rolf: les grandes marques ont été les premières à repérer la tendance et à intégrer le wax à certaines de leurs collections. De fil en aiguille, les designers africains font leur entrée dans les Fashion Weeks et en magasins. Pour Vincent Jacquemet, fondateur d’Afrodyssée, un marché (et défilé) consacré à la mode africaine qui se tient chaque printemps à Genève depuis 2015, «même si l’industrialisation reste encore problématique, il y a un potentiel, un savoir-faire qui va bien au-delà du wax».
Relents colonialistes
C’est bien le souci, le wax, aujourd’hui aux mains des Chinois, était hier dans celles des manufactures hollandaises qui produisaient ces pagnes destinés au marché africain sur des étoffes inspirées de l’Indonésie… Sans doute une des raisons pour lesquelles certains designers africains de la nouvelle génération sont retournés chercher l’inspiration sur leur lieu d’origine. «Chaque ethnie détient plusieurs habits et techniques de tissage différents. Ce patrimoine est un réservoir énorme. Les créateurs actuels sortent l’habit africain du folklore pour en faire un produit de luxe», résume le jeune entrepreneur ivoiro-suisse.
Imane Ayissi, créateur camerounais, a décroché le graal en étant lnvité depuis plusieurs saisons dans les défilés de haute couture. Cet ancien mannequin et danseur n’aime pas le wax et ses relents colonialistes. Il lui préfère le kente de la population Akan ou d’autres matières traditionnelles qu’il place «au même niveau d’excellence que les tissus occidentaux», comme le constate l’anthropologue spécialisée dans les textiles et la mode africaine Anne Grosfilley.
Auteure de plusieurs livres sur le sujet, elle poursuit au bout du fil: «Le wax n’est pas un tissu africain à proprement parler, il n’est donc pas sacré non plus comme la plupart des autres étoffes traditionnelles. Ce qui signifie qu’on peut en faire ce qu’on veut. Il est panafricain, fédérateur et permet à quiconque de s’y reconnaître indépendamment de son lieu d’origine.»
Un avenir cousu de fil africain
Dans le concept store Afrikalab qui propose le travail de plus de 56 créateurs ainsi que de l’épicerie fine, des bijoux, des cosmétiques et du home design, la clientèle est essentiellement féminine, afro-descendante ou passionnée d’Afrique. Mais l’empreinte des motifs wax dans notre société ne se cantonne pas aux boutiques spécialisées. Les consommateurs moins sensibles aux questions de traçabilité et de commerce éthique ont forcément vu l’un ou l’autre des dessins caractéristiques du wax au détour d’une collection Naf Naf ou de produits Body Shop.
Anne Grosfilley espère que le wax sera le premier signe «d’un engouement pour d’autres tissus africains». La spécialiste a conseillé Dior pour sa collection 2020 où les motifs de Toile de Jouy de la marque dialoguaient avec ceux du wax dans des compositions réalisées par des dessinateurs africains. Elle explique: «Qu’ils soient designers ou photographes, les créateurs de cette nouvelle génération permettent une définition de l’identité africaine par les Africains. Ce n’est plus le regard de l’Européen qui détermine ce qui est beau.»
Les jeunes du continent comme de la diaspora ont bien compris la force identitaire de ces nouveaux habits. Et les Occidentaux se familiarisent eux aussi avec ces nouvelles normes esthétiques qu’ils adoptent et adaptent à leur goût.