Un art culinaire historique vient de faire son entrée sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. Il s’agit de la harissa, le condiment national en Tunisie confectionné à base de piments et d’huile d’olive. Réunis à Rabat, les membres du comité chargé d’examiner les dossiers présentés par les pays ont annoncé, ce jeudi 1er décembre, avoir inscrit à sa liste de patrimoine immatériel « la harissa, savoirs, savoir-faire et pratiques culinaires et sociales ». En effet, le comité est là pour honorer avant tout des traditions à sauvegarder plus que les produits eux-mêmes.
C’est la première fois que le comité se retrouve en présentiel après deux sessions annuelles successives (2020 et 2021) tenues en ligne en raison de la pandémie de Covid-19.
La Tunisie promeut la harissa
La harissa est cuisinée à partir de piments séchés au soleil, d’épices fraîchement préparées et d’huile d’olive, qui la conserve et en atténue le piquant. On la trouve quasiment dans toutes les assiettes de restaurateurs en Tunisie et elle est exportée vers de nombreux pays. « Utilisée comme condiment, ingrédient ou même plat à part entière, la harissa est bien connue sur tout le territoire tunisien, où elle est consommée et produite en particulier dans les régions qui cultivent le piment », peut-on lire dans le dossier de candidature présenté par la Tunisie. « Elle est perçue comme un élément identitaire du patrimoine culinaire national, et un facteur de cohésion sociale », ajoute le texte. « Préparée et consommée sur tout le territoire tunisien, la harissa est perçue comme un élément fédérateur de tout un pays. » Un autre point fort : « Faisant partie intégrante des provisions domestiques et des traditions culinaires et alimentaires quotidiennes de toute la société tunisienne, la harissa est préparée, le plus souvent, par les femmes dans un cadre familial ou vicinal convivial, à caractère festif, marqué par une entraide communautaire remarquable », explique le dossier de candidature.
Adoptée en octobre 2003 et ratifiée par 180 pays, la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel promeut la sauvegarde des connaissances et savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel. Aujourd’hui, outil de la diplomatie culturelle, elle récompense également des « pratiques culturelles transmises de génération en génération, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, les rituels et événements festifs ou encore les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ». La liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité compte aujourd’hui plus 530 éléments inscrits, dont 72 nécessitent une sauvegarde urgente.
Parfois, un patrimoine immatériel peut-être partagé entre plusieurs pays, comme en 2020 l’inscription du couscous avait été le résultat d’une candidature conjointe de quatre pays d’Afrique du Nord : l’Algérie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie.
Algérie : et revoilà le raï !
Cette année, cela n’a pas été le cas sur le dossier du raï, que l’Algérie a défendu seule. L’ambassadeur du Maroc auprès de l’Unesco, Samir Addahre, a regretté de « ne pas avoir pu présenter un dossier commun » avec l’Algérie pour le raï, en raison de la rupture des relations diplomatiques entre les deux voisins, mais il a dit espérer d’autres candidatures communes « quand les circonstances s’amélioreront ».
Cependant, le raï algérien n’est pas intégré sur la liste comme une musique mais en tant que tradition entourant ce genre musical. « C’est du patrimoine vivant. La grande différence entre cette liste du patrimoine immatériel et la liste du patrimoine (matériel) mondial, c’est qu’ici ce sont des communautés qui sont représentées et qui sont les protagonistes de cette sauvegarde », a expliqué à l’AFP Ernesto Ottone, sous-directeur général pour la culture de l’Unesco.
Pour rappel, le raï, chant populaire d’Algérie, a connu une renommée mondiale dans les années 1990 grâce à des vedettes comme Cheb Khaled. Moyen de véhiculer la réalité sociale sans tabou ni censure, le raï aborde des thèmes tels que l’amour, la liberté, le désespoir et la lutte contre les pressions sociales.
Apparu dans les années 1930, il était à l’origine pratiqué en milieu rural par des doyens qui chantaient des textes poétiques en arabe vernaculaire, accompagnés d’un orchestre traditionnel, selon l’Unesco. C’est au milieu des années 1980 que le raï explose : sous l’influence de chebs (« jeunes »), cette musique traditionnelle algérienne de la région d’Oran (ouest) se modernise.
Après un premier festival raï à Oran en 1985, ce genre musical débarque en France à l’occasion d’un festival à Bobigny, en région parisienne, en janvier 1986.
Avec ce festival, le public français découvre aussi la voix de Cheb Mami, qui, aux côtés de Cheb Khaled ou de Cheikha Rimitti, deviendront par la suite des stars mondiales.
En quelques années, le raï élargit son public, intéresse les grandes maisons de disques. Cheb Khaled devient le premier Maghrébin à entrer au top 50 au début des années 1990 avec son tube « Didi ».
Durant la décennie noire (1992-2002), plusieurs chanteurs de raï ont été assassinés, dont le plus célèbre d’entre eux, Cheb Hasni, considéré comme le roi du « raï sentimental », tué à Oran en septembre 1994 par des islamistes armés.
Au cours des années 2000, le raï a peu à peu disparu des grands plateaux de télévision et a retrouvé son public confidentiel des débuts. Il a été victime aussi de sorties de route, comme la condamnation de Cheb Mami pour violences envers son ex-compagne, et de la montée en puissance des musiques urbaines (rap et rhythm’n’blues). Le raï a été remis au goût du jour cet été par le succès phénoménal du dernier titre de la star planétaire franco-algérienne DJ Snake, « Disco Maghreb », du nom de l’emblématique maison de disques oranaise à laquelle le titre de la chanson rend hommage.
Autre dossier présenté par un État du continent africain : la danse kalela. Cette danse, née à l’époque coloniale dans la province de Luapula, en Zambie, est encore largement pratiquée sur l’ensemble du territoire.