Peut-on dire qu’un pays dont le championnat national est considéré comme le meilleur du continent et qui vient de voir deux de ses clubs remporter les deux plus prestigieux trophées du football continental bafouille son football ? Assurément pas, et pourtant le fait que le Maroc ne soit pas allé au bout de la dernière CAN, jouée au Cameroun et remportée par le Sénégal, l’avait laissé croire tant les chuchotements de doutes et de colère autour de la tanière des Lions de l’Atlas avaient fini par installer une sorte de fatalisme, celui que connaissent les perdants, qui n’arrêtent pas d’expliquer les raisons de leurs échecs au lieu de remettre le tablier et réfléchir à comment gagner. Avec le meilleur championnat africain et les deux trophées continentaux glanés par des clubs marocains la saison dernière, le football marocain avait envoyé des signaux positifs. Quelle en est l’explication ? Cela vaut la peine de s’y pencher, car ce résultat n’est rien d’autre que l’aboutissement d’un édifice dont la première pierre a été posée en 2009 par le roi en personne, qui a pris la décision de créer une académie de football pour sortir le ballon rond marocain de l’ornière. Treize ans après, le royaume chérifien en cueille les fruits.
Le constat d’un déclin dans les années 2000
Absents des Coupes du monde 2002 et 2006, n’ayant pas remporté de Coupe d’Afrique des nations depuis 1976 (une finale perdue en 2004), les années 2000 ont marqué une décennie sans relief pour le football marocain. Soucieux du manque de résultats obtenus par le Maroc dans les années 2000, le roi Mohammed VI a été à l’initiative de la proposition d’un centre de formation national. « Sa Majesté le roi Mohammed VI a voulu comprendre pourquoi le football était arrivé à ces difficultés-là. C’est-à-dire ne pas se qualifier à la Coupe du monde depuis longtemps, de ne pas passer le premier tour des Coupes d’Afrique ainsi que la non-qualification des jeunes dans les compétitions africaines et notamment mondiales. Et aussi les résultats qui manquaient au niveau des Ligues des champions africaines. Donc la conclusion, c’était que le Maroc avait perdu un petit peu le fil de la formation des jeunes, laquelle était sa force », expliquait Nasser Larguet, ancien directeur du projet, aux colonnes de So Foot.
La réaction d’orgueil des amoureux du ballon rond
Sur la base de ce constat, l’idée de l’Académie Mohamed VI (AMF) a fait son chemin. Inaugurée en 2009. Financée à hauteur de 140 millions de dirhams, soit 13 millions d’euros, sans soutien de l’Etat, l’Académie possède le statut juridique d’une association à but non lucratif, et est représentée par un groupement d’opérateurs privés comprenant la Banque du commerce extérieur, Maroc Telecom, la fondation CDG, le groupe ONA, le groupe ADOHA et Wafa Assurance. Le souverain octroie un soutien financier annuel tandis que le remboursement du crédit se fait à travers les subventions des sponsors, et les ventes de joueurs issus de l’académie. Ce projet ainsi que le Centre national des sports Moulay Rashid vont constituer deux pôles d’excellence incontournables au profit du sport marocain.
Des installations de classe mondiale
Basé à Salé, le complexe sportif est bâti sur 18 hectares et comporte des pôles pour l’hébergement, le suivi scolaire, la section administrative. Sur le plan sportif, l’Académie se dote de terrains de différentes surfaces (gazon naturel, synthétique, terre et sable) et d’un pôle médico-sportif permettant de permettre aux jeunes un développement optimal en tout point.
Le cursus repose sur une formation de sept ans suivant un modèle sport-étude allant des catégories minimes, cadets et juniors sur la base de détections de jeunes talents, non licenciés en clubs. Le complexe compte également une école de football pour les 6 à 12 ans et une école pour se positionner plus tôt sur les jeunes talents de demain. La politique de détection vise tout simplement à cibler les meilleurs talents, sans considération de leurs caractéristiques physiques ou de leur style de jeu, et de les développer en conséquence.
Un nouvel acteur du football marocain
Inscrite dans le championnat des petites catégories (dont certaines sont diffusées sur la chaine de sport national Arryadia), l’AMF bouscule la hiérarchie des grands clubs du pays et s’affirme très rapidement comme une nouvelle force de la formation marocaine de football, et de nombreux titres sont gagnés assez rapidement dans les différentes catégories. Le contenu de la formation la distingue des clubs traditionnels pour la placer dans une classe à part : « Les familles voulaient absolument me confier leurs enfants parce qu’on était attentifs aussi à leur scolarité. On était attentifs à leur santé, ce qui n’était pas le cas dans les clubs, malheureusement pour eux. Et donc c’est vrai que ça a attiré un petit peu jalousie », poursuit Larguet, aujourd’hui directeur technique national de la Fédération saoudienne de football.
La récolte des fruits en une dizaine d’années
Devenue une référence en un peu plus de dix ans, l’Académie est l’un des fournisseurs principaux de l’équipe nationale, avec quatre joueurs issus du programme que sont Youssef En Nesryi, Nayef Aguerd, Reda Tagnatoui, et Azzedine Ounahi. Ce dernier, révélation du tournoi, a surpris et séduit le sélectionneur espagnol Luis Enrique lors des huitièmes de finale : « Mon Dieu, d’où sort ce gars ? » demandait-il à la fin du match.
Les revenus générés à travers les transferts sont immédiatement reversés à l’Académie afin de continuer la mise à jour sur le plan des infrastructures, et améliorer le réseau de recrutement afin de mieux couvrir toutes les régions du pays. L’académie avait d’ailleurs noué un partenariat de trois ans avec l’Olympique lyonnais en 2019 dans le but de nouer une coopération technique.
Une crédibilité qui se renforce à l’international…
Participant à de nombreux tournois internationaux, sa réputation est parfaitement établie à l’international également. L’AMF a d’ailleurs remporté l’Africa’s Cup ces derniers jours, une compétition pour les U19 réunissant plusieurs académies reconnues à Agadir. On retrouvait par exemple les académies JMG du Mali et de Côte d’Ivoire, l’OCG Nice, le Red Bull Salzbourg, ou encore le CNEPS Excellence de Thiès (Sénégal), finaliste et défait aux tirs au but. Preuve que le projet est sur de bonnes bases et n’est pas près de s’arrêter en si bon chemin.
… et qui sert le championnat local
En compagnie des clubs majeurs du pays disposant d’une académie (Wydad, Raja, FAR Rabat, FUS Rabat et Berkane), l’Académie Mohammed VI permet dans le moindre des cas (car tout le monde n’est pas forcément promis à une carrière internationale), d’alimenter le championnat national de joueurs bâtis pour le professionnalisme. Ce qui permettra au Bottela Pro de gagner en qualité en maintenant sa place de championnat phare du continent et d’obtenir plus de résultats en Coupe d’Afrique de clubs. À coup sûr, la vision derrière ce projet permettra d’aider à pérenniser le football marocain au sommet du football africain, et même peut-être viser plus haut.