AOuagadougou, à la fin de 2017, Emmanuel Macron avait été applaudi par des étudiants burkinabés en affirmant sa volonté de rompre avec une vision postcoloniale et de normaliser les relations avec l’Afrique. Sans pouvoir réfréner des accès de condescendance, il prétendait parler d’égal à égal avec les Africains en cessant de leur donner des leçons, déclarant même : « Il n’y a plus de politique africaine de la France ! »
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L’injonction adressée à la France, lundi 23 janvier, par la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso, de retirer dans un délai d’un mois ses quatre cents soldats des forces spéciales basés à Ouagadougou, fait voler en éclats, cinq ans plus tard, l’ambition d’un « nouveau partenariat décomplexé » que le président souhaitait promouvoir avec les anciennes possessions françaises. Entre-temps, l’échec des militaires français, à l’origine applaudis, à rétablir la sécurité au Mali face à l’emprise des djihadistes a alimenté au Sahel une vague de ressentiment à l’égard de Paris, qu’ont exploitée des militaires putschistes soutenus par la Russie. Le refus d’une partie des Etats africains de condamner à l’ONU l’agression russe en Ukraine a mis en lumière la béance d’une faille qui est loin de ne concerner que la France.
En 2022, les soldats français ont été forcés de quitter la République centrafricaine et le Mali. A chaque fois, le pouvoir compte sur le soutien des mercenaires russes de Wagner, qui se financent en pillant les ressources minières. Un scénario comparable est en cours au Burkina Faso, même si l’armée y semble divisée sur la coopération militaire avec la France.
Ressentiment
Dans ce contexte, la rhétorique hostile à la politique française, soutenue par la propagande russe, est devenue un puissant levier : non seulement elle mobilise facilement la population en quête d’un responsable de la pauvreté et de l’insécurité, mais, en justifiant l’immixtion de mercenaires russes peu regardants sur la démocratie, elle permet aux militaires arrivés au pouvoir par la force de s’y maintenir.
Au Burkina Faso, le ressentiment contre la politique française ne se nourrit pas seulement de fantasmes. Les Burkinabés n’oublient pas le rôle trouble de Paris dans l’assassinat, en 1987, de Thomas Sankara, jeune président révolutionnaire, ni le soutien sans faille de la France à Blaise Compaoré, complice de ce crime, qui occupa le pouvoir pendant vingt-sept ans. Ce passé de grande proximité avec l’ancien colonisateur alimente les procès en ingérence et en arrogance, dans un pays déstabilisé par la guerre imposée par les groupes djihadistes et entretenue par les conflits sociaux et par l’impuissance de l’Etat.
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https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/25/au-burkina-faso-un-nouvel-avertissement-a-la-france_6159230_3232.html
L’armement massif des villageois souhaité par le capitaine Ibrahim Traoré, président de transition, risque de plonger à terme le pays dans la guerre civile, alors que les attaques ont, depuis 2015, causé des milliers de morts et deux millions de déplacés. Plutôt que l’impasse de la spirale ultra-sécuritaire dans laquelle il s’embourbe, le « pays des hommes intègres » gagnerait à s’engager dans une transition démocratique et la recherche d’une solution politique.
Pareille orientation n’exonérerait nullement la France d’une solide réflexion sur le type de dialogue et de présence qu’elle entend poursuivre en Afrique. Ce nécessaire aggiornamento doit tenir compte du fait que chaque recul, chaque faiblesse de Paris constituent autant d’opportunités pour ses rivaux – notamment russes, chinois et turcs –, dont la pureté des intentions à l’égard des Africains apparaît pour le moins douteuse.