Yayra Agbofah, fondateur du studio de créateurs The Revival, m’emmène faire un tour virtuel sur le marché des vêtements d’occasion de Kantamanto à Accra, au Ghana, en FaceTime.
“Tu achèterais ça ?” dit-il en extirpant d’une montagne de chaussures des sandales en faux cuir déglinguées. Elles sont trouées, les boucles sont cassées et les semelles ont connu des jours meilleurs. Il ramasse un talon aiguille solitaire. “Bon courage pour trouver le deuxième !”
Yayra Agbofah se rend régulièrement dans ce marché en quête de pièces qui pourraient être sauvées de la décharge et transformées en vêtements de mode prisés. Pendant une dizaine de minutes, il se fraie un chemin parmi les allées jonchées de fripes, parfois jusque dans le caniveau, et les vendeurs qui déballent à l’infini leurs marchandises. Au Ghana, on appelle celles-ci obroni wawu, “vêtements d’hommes blancs morts”.
“La plupart finiront probablement à la décharge en fin de journée”, dit Yayra Agbofah. Selon la Fondation Or, une ONG ghanéenne, c’est le cas d’environ 40 % de ces marchandises.
La seconde main occidentale finit à la benne africaine
L’importation de lots de fripes au Ghana, au Kenya ou en Ouganda ne date pas d’hier. C’est un commerce qui fait du tort aux nombreuses industries textiles locales depuis des dizaines d’années. Chaque pays a son histoire, mais la chaîne d’approvisionnement est généralement la même : des vêtements d’occasion, achetés ou donnés, en provenance de pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine, sont vendus à des spécialistes de l’import-export qui les revendent ensuite aux commerçants sur des marchés comme Kantamanto. C’est un commerce juteux qui emploie des milliers de personnes et où chaque intermédiaire se taille une part du gâteau. En 2021, 211 millions de dollars [192 millions d’euros] de vêtements de seconde main ont été importés au Ghana.
Pourtant, avec le développement de la fast fashion, la qualité et la quantité des vêtements se sont détériorées. Au Ghana, certains échouent sur les plages, engendrant une pollution certaine. “Le Nord globalisé a trouvé un système pour se débarrasser de ses déchets textiles et nous les refiler”, déplore le designer ougandais Bobby Kolade. Alors que de nombreux consommateurs aiment croire que les vêtements qu’ils déposent dans les bennes de collecte sont destinés à des associations.