Du rose, du jaune, du mauve et de l’orangé. Dans la petite boutique de Marie Madeleine Diouf, dans une ruelle du Plateau, en centre-ville de Dakar, les vêtements du grand portant déclinent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Pourtant, dès que l’œil s’arrête un peu sur cette explosion chromatique, une teinte prend le pas sur toutes les autres. Chez la styliste, le bleu est roi : c’est la couleur phare de la marque NuNu Design by DK, associée à un souvenir lointain, fondateur pour la modiste. « Enfant, le quartier dans lequel j’habitais vivait au rythme des spectacles de danse. Moi, j’étais fascinée par cet art et plus encore par le pagne indigo des danseuses sérères », se souvient la créatrice.
Après les Wolof et les Peuls, les Sérères composent la troisième ethnie du Sénégal, installée dans le centre ouest du pays. Ce peuple, parmi les plus anciens à s’être établis dans la zone, était doté d’un code vestimentaire strict qui imposait aux femmes de porter un pagne et un boubou bleu indigo à rayures noires, et un foulard noué sur la tête, le moussor. Raison pour laquelle la Sénégalaise est restée attachée à l’indigo, qui pour elle « fait partie de l’histoire du continent, un coloris profondément lié à plusieurs cultures traditionnelles ».
Attachée à ses racines sérères, elle décline donc naturellement cette teinte sur du bazin, un tissu damassé et brillant, comme sur du lépi, un pagne en coton tissé originaire de Guinée. L’intensité de la teinture végétale, obtenue à partir de l’écorce d’indigotier, lui permet de nuancer les tons à l’infini, du bleu profond à un bleuté très pâle, en fonction des motifs réalisés sur le tissu. Un éblouissement pour Marie Madeleine Diouf, qui aime jouer sur ces modulations ton sur ton.
Trois collections par an
Celle que son entourage surnomme « Nunu » a exercé pendant quinze ans en tant qu’assistante médicale avant d’oser se lancer dans la création. Elle franchit le pas un jour de 2015 en décidant de commercialiser les vêtements qu’elle crée chez elle depuis trois ans. La créatrice débute avec 60 000 francs CFA (91 euros) en poche et trois mois suffisent pour que sa boutique ne désemplisse plus. « Ce sont les astres », assure-t-elle, modeste, pour expliquer ce succès fulgurant.
Pourtant, quand elle se remémore ses premières vitrines, qui mêlaient à ses étoffes des coquillages, des filets de pêche et des objets typiques de son village, Fadiouth, dans la région du Siné Saloum (ouest), elle sourit : « Je me suis vraiment lancée sans savoir où j’allais, juste pour répondre à ma passion, à mon envie de créer. »
Huit ans plus tard, la marque NuNu Design by DK fait travailler une dizaine de personnes. A travers ses pièces, Marie Madeleine Diouf veut « magnifier le textile africain et raconter le vécu des peuples ». Robes cache-cœur, tuniques courtes et vestes type kimono : tout est confectionné dans l’atelier attenant au magasin au rythme de trois collections par an. Un style « authentique et engagé », selon ses mots, qui veut associer le savoir-faire ancestral à des coupes actuelles. « Il faut moderniser notre héritage, répète-t-elle inlassablement, afin que le vêtement soit pratique et confortable au quotidien. »
Le modèle phare de NuNu Design associe des poches découpées sur un jean récupéré dans une friperie dakaroise à une robe ou à une tunique indigo. Cette création, la plus vendue de la marque, traduit l’engagement écologique de la styliste, en quête d’une seconde vie pour les montagnes de fripes envoyées par les pays du Nord.
Cactus et eucalyptus
Imaginative, elle revisite aussi le thiouraye, un encens aux notes capiteuses très utilisé par les Sénégalaises comme élément de séduction, et le transforme en une déclinaison de parfums liquides d’ambiance. Et comme la créatrice n’oublie jamais que son inspiration est née de son histoire personnelle, elle a baptisé du prénom de ses aïeules chacune des sept fragrances qu’elle a imaginées.
Pour rendre un peu de ce qu’elle a reçu des siens, Marie Madeleine Diouf organise aussi des ateliers depuis 2019, afin de « contribuer à l’autonomisation des femmes dans l’artisanat ». Et, régulièrement, elle s’arrête dans des villages pour transmettre ses connaissances.
Pour aller plus loin, elle a également entrepris depuis quatre ans des recherches sur d’autres teintures. Dans les cuves de son atelier de Ngaring, à 60 km au sud-est de Dakar, elle expérimente de nouveaux procédés à base de composants naturels. Des pigments issus du cactus, de l’eucalyptus et d’écorces diverses lui permettent d’obtenir des couleurs uniques, différentes des teintures modernes.
Afin de mettre sur pied une chaîne de production entièrement locale, l’entrepreneuse souhaiterait produire du coton sur le territoire sénégalais. « Cet artisanat nécessite un processus de fabrication plus long, mais c’est un engagement pour la qualité et l’écologie, basé sur ce que la nature nous offre », assure-t-elle, consciente que cela ne se fera pas en un jour.