Il vient de fêter ses 23 ans et s’apprête à rejoindre le cercle très fermé des artistes nigérians capables de remplir ce stade de 20 000 places. Consacrant un peu plus le succès mondial de la pop « made in Nigeria », appelée « afrobeats », Rema – Divine Ikubor de son vrai nom – devrait se produire à la fin de l’année sur la scène de l’O2 Arena de Londres.
Début mai, le chanteur a également présenté la version « deluxe » de son premier opus, Raves & Roses, sorti en mars 2022 et devenu l’album africain le plus écouté de tous les temps sur Spotify. Le titre Calm Down, en duo avec la star américaine Selena Gomez, a largement contribué à ce succès phénoménal. A l’été 2022, ce tube au refrain entêtant a envahi les radios du monde entier. Aujourd’hui encore, il est toujours classé dans le top 10 des chansons les plus populaires aux Etats-Unis.
Calm Down s’inscrit dans une trilogie à succès pour l’afrobeats, après le titre Essence, de Wizkid et Tems, et l’incontournable Last Last, de Burna Boy. « Bien sûr, il y avait déjà eu des tubes venus du Nigeria, mais ces hits étaient surtout portés par la diaspora, remarque Rima Tahini, du label nigérian Mavin Records. Avec Rema, on est tout de suite passé à la vitesse supérieure : dès 2020, Spotify l’a affiché sur écran géant à Times Square ! Les choses se sont vraiment accélérées pour l’afrobeats depuis trois ans. »
Un gamin de Benin City
Mais avant de tutoyer les étoiles, il a d’abord fallu se faire repérer dans une industrie musicale nigériane de plus en plus compétitive. « Aujourd’hui, presque tout se joue sur les réseaux sociaux, de la découverte au succès », souligne Rima Tahini, qui suit la carrière de Rema depuis 2018. A l’époque, il n’est encore qu’un gamin de Benin City, une ville du sud-est du Nigeria connue pour sa riche histoire précoloniale et ses gangs spécialisés dans les escroqueries en ligne ou le trafic d’êtres humains. Le quotidien est difficile pour la famille Ikubor depuis que le père, un politicien local, a été retrouvé mort dans une chambre d’hôtel en 2008.
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https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/05/22/musique-rema-le-petit-prince-de-l-afrobeats-a-la-conquete-du-monde_6174348_3212.html
Rema, qui a déjà connu quelques succès musicaux au sein de son église, poste régulièrement des vidéos de lui en train de rapper, généralement dans une voiture à l’arrêt. Mais Benin City semble bien éloignée de Lagos et le succès tarde à venir. Jusqu’à ce jour de février 2018 où l’ambitieux adolescent pose ses mots sur la musique du tube Gucci Gang, du chanteur D’Prince, qu’il « tague » sur Instagram. Impressionné, celui-ci invite Rema à le rejoindre à Lagos, avant de le signer sur son label, Jonzing World, une sous-division de Mavin Records.
La maison de disques a été fondée par le célèbre producteur nigérian Don Jazzy, un pionnier de l’afrobeats et l’un des premiers à avoir eu l’idée d’insuffler de la nigérianité sur des beats hip-hop londoniens mâtinés d’électro. Sous son influence, Rema délaisse peu à peu le rap pour le chant et c’est Dumebi, un tube sucré aux paroles peu cohérentes, qui lui ouvre finalement les portes de la gloire.
« Certains fans de la première heure ont été un peu déçus de ce changement de cap assez commercial et en ont même voulu à Don Jazzy pour son intervention », se remémore le journaliste Oris Aigbokhaevbolo. Mais peu d’artistes connaissent la gloire aussi jeune et le parcours de Rema rappelle déjà celui de son aîné Wizkid, qui avait à peine 20 ans lorsqu’il a enregistré son premier album en 2011. « Comme lui, Rema est le premier d’une nouvelle génération de chanteurs nigérians. Mais son succès a été beaucoup plus rapide », remarque Oris Aigbokhaevbolo.
En 2019, le jeune homme enchaîne les EP à succès et se frotte au show-business américain, alors que son titre Iron Man se retrouve sur la fameuse playlist de Barack Obama. L’année suivante, il enregistre un morceau remarqué pour la chaîne Colors, sur YouTube, et apparaît en une de magazines branchés aux Etats-Unis. « Nous avons construit tout ça à un moment où le monde entier commençait à s’intéresser plus sérieusement à l’afrobeats », estime Rima Tahini.
En 2022, la chanson Calm Down rencontre déjà un franc succès lorsque l’équipe de Rema approche l’actrice et chanteuse Selena Gomez pour lui proposer de travailler sur un remix de ce titre. Les artistes nigérians ont toujours multiplié les collaborations internationales, d’abord sur le continent puis dans le reste du monde, ces « featurings » leur permettant d’élargir leur audience et de monétiser leur travail en devise forte. Mais récemment, la tendance s’est accentuée avec des reprises de tubes déjà existants, réédités avec la participation de stars mondialement connues.
« Choisir Selena Gomez était évidemment un très bon choix, puisqu’elle est la femme avec le plus de followers au monde sur Instagram », commente Oris Aigbokhaevbolo. Le remix de Calm Down, en août 2022, se classe très vite en tête des charts du monde entier, pulvérisant tous les records pour une chanson d’afrobeats.
Message d’espoir
« C’est un genre avec de nombreuses possibilités. Ça peut être de l’afropop, de l’afro-R&B. C’est comme une pizza, vous mettez ce que vous voulez dessus », résume London, l’un des producteurs de Calm Down, dans une interview accordée au magazine américain Billboard. Le sous-genre déployé par Rema a été baptisé « afro rave » par le chanteur, dont la musique combine des sonorités fuji des années 1970-1980 et des mélodies inspirées de la musique orientale.
Calm Down a d’ailleurs rencontré un grand succès en Inde et au Moyen-Orient, selon Mavin Records. Au point de servir de bande-son à la rébellion de cinq jeunes Iraniennes qui se sont filmées en train de danser en crop top et les cheveux lâchés sur ce hit nigérian devenu universel. Leur arrestation a ému le monde entier et fait réagir le jeune Rema. « A toutes les femmes magnifiques qui se battent pour un monde meilleur, vous m’inspirez, je chante pour vous et je rêve avec vous », a-t-il posté sur Twitter.
Le succès de Rema, qui commence bientôt une tournée internationale, a de quoi faire rêver plus d’un jeune Nigérian en quête d’échappatoire. Désormais, il suffit parfois qu’une chanson devienne virale sur TikTok pour connaître un début de gloire. « C’est certainement plus facile de voir un titre devenir très populaire en peu de temps, mais c’est aussi plus difficile de durer. Le système est de plus en plus saturé et beaucoup d’artistes manquent d’une fanbase solide », met en garde la journaliste spécialisée Melody Hassan.
L’ascension éclair de Rema n’en est pas moins un extraordinaire message d’espoir, selon Davido, l’un des premiers artistes à avoir donné ses lettres de noblesse à l’afrobeats : « Voir un gamin de Benin City vivre ce genre de succès, ça vous fait vraiment croire aux miracles », a-t-il récemment déclaré.