Cinquante minutes pour accéder à un nouveau pallier : au 15ᵉ Festival des musiques urbaines d’Anoumabo à Abidjan, il y a quelques semaines, Nourat et les Lions ont franchi une étape, aussi bien en termes de visibilité que d’expérience. La chanteuse burkinabè sait l’importance de ces rendez-vous : participer à un événement musical majeur d’Afrique de l’Ouest est une opportunité qui peut donner un coup d’accélérateur bienvenu à une carrière, même si la reggaewoman s’est déjà produite à quelques reprises hors de son pays natal, en particulier en 2019 dans le cadre du festival Le Chant des Linguere initié par la Sénégalaise Coumba Gawlo.
Au cours de son récent séjour dans la capitale économique ivoirienne, la jeune femme en a profité pour multiplier les rencontres, élargir son réseau et faire connaitre un peu plus son répertoire. Invitée de l’émission hebdomadaire Fréquence Reggae Vibes qu’anime le chanteur Spyrow Fayaman sur une station de la RTI (Radiodiffusion Télévision ivoirienne), elle s’est rendue un peu plus tard à AZK Live, l’un des clubs reggae d’Abidjan les plus actifs.
Il y a aussi ce moment passé avec Tiken Jah Fakoly, qui l’a reçue et dont certaines chansons ont une place singulière dans son histoire avec le reggae. Comme Djourou, un des titres de l’album Cours d’histoire paru en 1999 que sa cousine avait acheté. Nourat le fredonne, puis raconte : “La première fois que je l’ai écoutée, des larmes ont coulé. Je ne savais pas pourquoi, je ne comprenais même pas ce qu’il disait.” Quelque chose dans la voix ou la mélodie de l’Ivoirien a fait écho à sa sensibilité, elle qui se reconnait “assez mélancolique”.
La musique de l’espoir
Si le reggae fait partie des musiques avec lesquelles elle a grandi, au même titre que celle de la Sud-Africaine Miriam Makeba ou la Béninoise Angélique Kidjo, sa rencontre réelle et consciente avec le style popularisé par Bob Marley a lieu quelques années plus tard, au moment où elle s’inscrit en première année d’anglais à l’université. Tout à coup, derrière les notes, la rythmique, elle entend les mots, comprend le sens, le côté “spirituel”, “engagé”. Et ressent “l’espoir”, que véhiculent les paroles des artistes jamaïcains. “J’ai eu une enfance pas du tout facile parce que j’ai perdu mes parents très jeune – mon père à quatre ans et ma mère à sept ans. Donc ce sont les chansons qui me remontaient le moral”, confie Honorine Zoma, son nom à l’état civil. Les morceaux qu’elle écoute en boucle alors ? Put It On, de Bob Marley, entre blues et tristesse. Addis Ababa du trio Culture. Ou encore Chant A Psalm du groupe britannique Steel Pulse.
En découvrant un peu plus tard la chanteuse des Îles Vierges Dezarie, elle dispose d’un modèle féminin pour pouvoir se projeter. D’autant qu’après trois ans à enseigner l’anglais dans un lycée technique, elle quitte ses fonctions pour répondre à l’appel irrésistible de la musique. Son premier album Daaré en 2012 a laissé des traces, même s’il lui a permis de se distinguer en remportant le Kundé (1) de la meilleure artiste féminine : le producteur, qui l’a repérée après sa participation aux sélections pour l’émission de téléréalité Case Sanga diffusée en Afrique de l’Ouest, n’a pas voulu de son reggae, préférant qu’elle fasse de la variété. Et des playbacks plutôt que des live, au grand regret de la chanteuse.
Rencontre avec les Lions
Le temps de s’émanciper de son contrat pour retrouver sa liberté et la voilà au Madiba Maathaï, un cabaret de Ouagadougou géré par le chanteur Bingui Jaa Jammy, où elle interprète les standards reggae. Le lieu change de nom, devient le One Love Café. En 2016, des musiciens ivoiriens y prennent résidence. Leur rencontre avec Nourat s’avère déterminante pour la chanteuse qui cherche un groupe afin de jouer ses compositions. Au-delà de l’aspect artistique, leur association lui évite des situations aux allures de pièges pour une femme seule dans le milieu du spectacle et de la musique : entre machisme et chantage à caractère sexuel, “c’était compliqué”, résume-t-elle.
La collaboration de Nourat et des Lions se concrétise d’abord par Burkina Soldier, en 2019 : une adaptation de Buffalo Soldier, de Bob Marley. “Le Burkina Faso traverse une crise sécuritaire depuis quelques années et on a voulu apporter notre soutien aux Forces de défense et de sécurité, voire à tous les soldats burkinabè”, explique son autrice. L’accueil favorable les convainc de poursuivre ensemble pour mettre sur le marché l’an dernier un album de belle facture, intitulé Pectoral, entièrement conçu, enregistré et mixé sur place.
A travers son contenu se reflètent également le contexte national et les préoccupations que ce dernier suscite. Ra Lo Ye en est un exemple, écrit “en hommage à tous ces jeunes africains qui sont morts dans la mer et le désert à la recherche d’une meilleure vie”. Tout comme Orphelin, un thème cher à la chanteuse, impliquée dans des actions pour venir en aide aux enfants concernés et aux populations déplacées. “Il faut donner le bon exemple, par les paroles des chansons mais aussi par des actes”, souligne-t-elle. Le souci de la cohérence, pour une artiste qui ne perd pas de vue qu’elle est aussi citoyenne.