Dans les rues de Pointe-Noire, au passage du cortège de véhicules qui traverse la ville côtière de la République du Congo, on se retourne et on crie son prénom dès qu’on reconnait le chanteur qui salue en retour à travers le toit ouvrant. À Abidjan, alors qu’il est largement plus d’une heure du matin, ils sont encore des milliers sur la pelouse de l’Institut national de la jeunesse et des sports à attendre sa prestation dans le cadre de la quinzième édition du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua).
À travers ces deux exemples que l’on pourrait multiplier ou déplacer dans d’autres pays, une évidence s’impose : Singuila s’est fait un nom sur le continent africain et, au-delà de ce simple constat, peut se prévaloir à ce titre d’un statut rare sinon singulier pour un artiste qui a essentiellement grandi en France, y a fait ses débuts et continue d’y mener parallèlement sa carrière.
« Ma base, ça reste Paris », assure-t-il, tout en reconnaissant voyager « énormément », et en particulier en Afrique. « J’ai un pied des deux côtés. D’ailleurs, mon album précédent s’intitulait Entre deux : je voulais montrer qu’il y a un pont, j’ai ce métissage en moi et j’en suis totalement conscient », poursuit l’ancien membre du jury de The Voice Afrique francophone – aux côtés de la Camerounaise Charlotte Dipanda avec laquelle il a enregistré par la suite Cœur en cage.
Si rejoindre les rangs d’Universal Music Africa en 2018 était d’abord une décision artistique pour ce pionnier du r’n’b français qui avait envie de « faire évoluer [sa] musique vers des sonorités afro », elle revêtait aussi une forte valeur symbolique. Et en concluant ce mariage avec la structure dirigée depuis 2020 par l’ancien rappeur Pit Baccardi, passé comme lui par le Secteur Ä, Singuila a accepté de se prêter aux règles du business local, à savoir devenir un brand ambassador, que ce soit pour une ligne de vêtements ou pour un brasseur. La bière n’est donc jamais très loin dans les six épisodes récemment mis en ligne de la mini-série Sin (son diminutif), vecteur de son nouveau single Faux gars.
Tournée à Abidjan, elle montre le quadragénaire dans son rôle de chanteur, au look toujours très soigné, retrouvant la troublante Aïcha, personnage d’une des chansons de son tout premier album ! Autant surfer sur l’image assumée, revendiquée et véhiculée de Docteur Love, titre de son disque paru en 2021, et le pouvoir de séduction de celui qui l’incarne.
Pourtant, “contrairement à ce qu’on pourrait penser, il y a plus d’hommes que de femmes, abonnés à mes pages sur les réseaux sociaux”, tient à souligner Singuila. Surprenant pour un spécialiste de chansons d’amour ? « Ce sont les hommes qui courent après les femmes », explique-t-il dans un sourire.
Lui qui chantait L’Enfant du pays en 2006, relatant son passage à Brazzaville douze ans plus tôt, connait le continent africain depuis son enfance, en raison de ses origines en Centrafrique et au Congo. La première fois qu’on l’appelle pour s’y produire en live, c’est au Gabon, où il est revenu à de multiples reprises « dans des salles de plus en plus grandes ».
À son palmarès, figurent aussi des pays comme le Bénin, la Guinée, le Burkina Faso, Madagascar… En haut de la liste, ceux où il est monté le plus souvent sur scène : le Cameroun, et bien sûr la Côte d’Ivoire, où son passage en 2004 doit être considéré à ses yeux comme un événement déclencheur. Invité par le groupe MAM pour les dix ans de ce trio précurseur du rap ivoire, il découvre « à une époque où on n’était pas connecté sur Internet comme aujourd’hui » que sa musique y a rencontré un public.
Ces derniers temps, il a fait quelques séjours à Kinshasa, « la Mecque de la rumba”. Avec une idée en tête, formalisée à la fin de l’année dernière et baptisée Projet Kongo. « Ça faisait un moment qu’on écoutait des vieilles chansons congolaises qui nous mettaient dans une humeur très positive. Donc s’il y a moyen de procurer les mêmes émotions… », résume Singuila qui a voulu aller à la source pour « essayer de trouver la même recette » que celle présente sur les œuvres de Franco, Tabu Ley Rochereau, Mbilia Bel, Papa Wemba… Quand il évoque la quête de ces sonorités qui font « voyager dans le temps », l’enthousiasme est palpable.