Le temps est pluvieux, l’orage menace à l’horizon, la température dépasse les 34 degrés. Mais les éléments ne découragent en aucun cas le quelque millier de personnes présentes à Prospect Park de Brooklyn, venu en nombre pour assister au concert de la diva malienne Oumou Sangaré.
La coupe afro est parfaite, la tenue blanche à dentelles émerveille les fans et les novices, et l’artiste propose un show énergique, de plus d’une heure et quart, pour le plus grand bonheur de la foule présente, dont John et sa femme Lidia, un couple de quinquas américains venus de Pittsburgh pour l’occasion. « On adore Oumou, sa musique, son aura, et la manière dont elle représente fièrement sa région, son pays et sa culture », précisent-ils, des étoiles dans les yeux, et ajoutent « on l’a vue en spectacle pour la première fois en France il y a plus de vingt ans, et on est devenus fans, même si ce n’était pas, à la base, un style musical que l’on écoutait. L’expérience de l’avoir vue en concert et d’apprendre sur elle et sa musique nous a séduits très rapidement ».
Même son de cloche pour Aissa, jeune étudiante d’origine guinéenne installée à New York depuis une dizaine d’années et qui a décidé de venir avec un groupe d’amis, curieux de voir de près et d’entendre « celle dont Beyoncé a samplé un son, mais qui a aussi comme l’une de ses plus grandes fans Alicia Keys. Pourtant, ce n’est pas la plus connue parmi les artistes africains qui se produisent outre-Atlantique », sourit Tanya, qui a adoré le show Sangaré.
Des Américains, des Maliens et des Ouest-Africains de la diaspora de tous âges, mais aussi des jeunes venus découvrir l’artiste, ont vibré durant cette chaude soirée dans le second plus grand Borough de New York, ce qui rend fière Oumou Sangaré, qui apprécie l’éclectisme de son public dans cette partie du monde. « Quand je vois des blancs, des Africains, des Américains, des jeunes, des moins jeunes passer un bon moment, c’est une grande joie pour moi », sourit l’artiste, qui souligne que « le public américain, malgré la distance avec l’Afrique, est constitué de fans qui me suivent depuis quelque temps, mais aussi et surtout de personnes qui veulent connaître ma musique, car la société américaine pousse ses individus à être très curieux de nature, ce qui est une très belle qualité ! ». La native de Bamako, qui a grandi bien loin des buildings à 50 étages de New York, et des autoroutes à huit voies qui quadrillent le pays, a construit, au fur et à mesure des années, un lien fort avec le pays de Tina Turner, d’Aretha Franklin et de Beyoncé.
Venue pour la première fois aux États-Unis au milieu des années 1990, Sangaré en est tombée amoureuse progressivement, et son attirance pour l’Amérique a toujours été assumée. « Dès que j’ai mis les pieds ici pour la première fois, j’ai ressenti une énergie rare, une telle passion pour les différents styles musicaux que cela ne m’a pas laissée indifférente », précise-t-elle, « que l’on joue dans une grande ville comme Los Angeles ou New York ou au milieu de nulle part dans le Texas ou le Michigan, on reçoit beaucoup d’amour, de l’énergie positive des gens, et c’est assez unique en son genre. J’adore me produire et travailler ici, c’est toujours très constructif pour moi et ça donne une exposition plus grande à ma musique et à mon pays, le Mali ». Une idylle afro-américaine qui dure depuis quasiment trois décennies, et qui n’est pas près de s’arrêter.
Concert à Central Park, à l’Apollo Theater et la consécration avec un Grammy Award
Tout heureuse de se retrouver en tournée américaine, qui la mène de New York à Detroit, en passant par Denver et la Californie, après un passage express sur la côte Est l’automne dernier, et plusieurs années sans être venue, l’artiste malienne s’est imposée dans le panorama hyper compétitif du monde de la musique du pays.
Sa première participation dans un projet musical américain a lieu en 1998, où elle pose sa voix sur la bande originale du film Beloved, avec Oprah Winfrey et Danny Glover. Oumou Sangaré, à chaque fois qu’elle vient aux États-Unis, s’imprègne des genres musicaux, des tendances et se sent à l’aise dans un pays si éloigné du sien. « La créativité artistique mais aussi le fait qu’il y ait autant de talents et de personnes qui chantent bien, ça donne de la perspective à votre travail, et cela vous donne des idées pour vos créations et l’opportunité d’apprendre et d’échanger », explique l’artiste, surnommé la Tina Turner d’Afrique de l’Ouest, par certains compères.
Elle effectue plusieurs collaborations au fil des années, son album Seya, sorti en 2009 et nominé pour le Grammy Award du meilleur album de musique du monde, et la reconnaissance par ses pairs se produit l’année suivante. Aux côtés de Seal, de Jeff Beck et de India Arie, elle remporte un Grammy pour son apport dans l’album Imagine de la légende du jazz Herbie Hancock. « Ça a été un moment formidable, et j’ai eu beaucoup de chance de travailler avec un monstre sacré comme Herbie Hancock. Moi, la fille venue de mon Mali natal, me faire un nom et collaborer avec des artistes comme lui, c’est juste formidable. On apprend beaucoup lors de ce genre d’expérience », se souvient-elle encore aujourd’hui, douze ans après.
Suivent des collaborations avec le producteur Rick Rubin, co-fondateur de Def Jam Records, et connu pour avoir produit les albums de Jay-Z, Red Hot Chili Peppers, Johnny Cash et Metallica, mais aussi Alicia Keys, avec laquelle elle a chanté lors du passage à Paris de la star américaine, qui avait exigé la présence de la diva malienne.
Oumou Sangaré joue à Central Park, mais aussi à l’Apollo Theater, mythique salle de Harlem où se sont produits les plus grands, comme James Brown et Tina Turner. « On ne s’en rend pas toujours compte, car le panorama musical américain est très, très dense et compte des milliers d’artistes, mais une chanteuse comme Oumou Sangaré, a, depuis ses premiers passages aux États-Unis, attiré l’attention, que ce soit des fans, même si ce n’est pas une superstar ici, et d’artistes ultra-connues, comme Beyoncé ou Alicia Keys, ce qui veut dire qu’il y a une grande reconnaissance du talent d’Oumou par le milieu des artistes. Et ça, avec un public aussi exigeant, et des stars de la musique en très grand nombre, ce n’est pas chose aisée, c’est le moins que l’on puisse dire ! Elle a créé des ponts entre l’Amérique et l’Afrique en terme musical bien avant les artistes comme Burna Boy, Wizkid et les autres, c’est une pionnière » analyse Jay Briscott, journaliste musical pour le célèbre New York magazine.
Mais pour l’artiste africaine, malgré ses collaborations avec certaines légendes américaines, le plus important reste le message de sa musique, son engagement social, qui fait écho de ce côté de l’Atlantique, pour les fans américains, mais pas seulement. « J’adore faire vivre une expérience musicale et humaine à mes fans qui viennent me voir dans les spectacles que je fais aux États-Unis, mais j’aime aussi voir les gens de la diaspora d’Afrique de l’Ouest et du Mali, pour leur donner un peu de baume au cœur, un moment de joie pour essayer d’oublier cette nostalgie du pays natal », précise-t-elle.
Elle ajoute aussi : « la musique n’a aucune frontière, elle réunit les gens, les fait célébrer ensemble. Elle brise aussi les barrières, et permet aux personnes de se rencontrer, d’échanger et d’apprendre. Je ressens cela à chaque fois que je viens ici, et les fans américains et africains basés ici me le rendent tellement bien. J’ai envie de revenir ici le plus souvent possible ! »