Ce génial rythmicien, dont les racines sénégalaises et marocaines nourrissent la créativité, avait besoin de traduire en musique ce périple international qui a enrichi son être tout entier depuis sa naissance en 1960. Des Caraïbes à l’Océanie, du Maghreb à l’Amérique du Sud, de la Casamance aux clubs de Paris, son aventure musicale est unique et palpitante.
Lorsqu’il arrive en France à l’âge de 12 ans, Mokhtar Samba a déjà en lui cette ferveur africaine qui irrigue inconsciemment sa force vitale. Ses goûts musicaux de jeunesse l’orientent vers une fusion des couleurs sonores dont il deviendra l’un des orfèvres quelques années plus tard.
Le groupe Ultramarine sera son laboratoire et lui donnera l’occasion d’expérimenter des tempos furieusement swing et toujours plus audacieux. En compagnie de Mario Canonge, Étienne Mbappé, N’Guyen Lê, Bago Balthazar, Pierre-Olivier Govin, il développe une musicalité hybride qui identifiera son empreinte et le hissera au rang des meilleurs instrumentistes.
Sa notoriété croît rapidement et son nom circule dans la famille des musiciens inspirés. Le tremplin décisif fut ce concert du fameux bassiste américain Jaco Pastorius en 1986 au New Morning à Paris. Son ami et homologue, Paco Sery, lui propose de le remplacer au pied levé pour cette prestation prestigieuse. Le pianiste Eddy Louiss lui confirme cette invitation quelques heures plus tard.
Mokhtar Samba croit d’abord à une blague, mais finit par se rendre sur place. Il réalise que le maestro Jaco l’attend vraiment. Intimidé par l’enjeu, mais déjà suffisamment aguerri, le jeune Mokhtar, 26 ans, fera sensation en soutenant avec conviction le répertoire de l’un de ses héros. Cette folle soirée restera longtemps dans sa mémoire. Dès lors, sa réputation le devance et les sollicitations se multiplient.
En quatre décennies, Mokhtar Samba a accompagné, avec goût et détermination, des dizaines d’artistes dont Salif Keita, Youssou N’Dour, Joe Zawinul, Carlos Santana, Carlinhos Brown, Jean-Luc Ponty, Manu Dibango, etc. Cette frénésie percussive a un peu éclipsé ses propres productions. Dounia, en 2005, fut le signe avant-coureur d’un désir universaliste avéré.
Le chemin parcouru
L’album Safar, en 2023, confirme les velléités poly-directionnelles de cet insatiable trublion. Pour l’occasion, les amis ont été conviés. Jean-Philippe Rykiel, Thierry Vaton, Guy N’Sangué, Linley Marthe, Michel Alibo, Guimba Kouyaté, Julia Sarr, Alune Wade, Aziz Sahmaoui, entre autres, sont venus prêter main-forte à ce projet ambitieux qui nous emmène aux quatre coins du monde et dans les souvenirs du maître d’œuvre. Ce n’est pourtant pas qu’un album nostalgique.
Safar est une célébration des richesses internationales portée par un regard exigeant vers l’avenir. Apprendre du passé, ce n’est pas s’y enfermer. C’est tirer les leçons des gloires et des déboires qu’une vie d’artiste impose. Mokhtar Samba a parfaitement conscience du chemin parcouru, des efforts consentis, du travail accompli, mais il n’entend pas devenir un observateur de sa flamboyante destinée.
Avancer encore et toujours, susciter des rencontres, découvrir de nouvelles terres, de nouveaux horizons, de nouveaux rythmes, tout cela crée l’envie et entretient la flamme. Il peut compter sur un savoir-faire éprouvé depuis 40 ans, mais refuse de s’en contenter. « Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage » disait le poète français Nicolas Boileau.
Mokhtar Samba ne cesse de suivre cet adage en peaufinant indéfiniment son jeu si spécifique. La clave africaine originelle est le ciment de ses impressionnantes circonvolutions rythmiques qui se fondent dans les mélodieux idiomes de ses partenaires.
Écoutez Nouméa, Salvador ou Caraïbes Remembers, vous y décèlerez certainement l’écho harmonieux d’une planète en mouvement que Mokhtar Samba continue de révéler dans chacune de ses fines frappes sur les peaux résistantes de sa batterie.
Ce long voyage depuis son village natal, Sidi Kacem, est loin d’être achevé. Safar n’est qu’un bilan d’étape, le marqueur temporel d’une épopée musicale qui va nécessairement se poursuivre et suggérer d’autres conversations polyglottes. Nous avons déjà hâte de connaître la suite, mais laissons nos oreilles frétiller à l’écoute de ce disque sans frontières.
La collégialité enthousiasmante qui émane de ce répertoire original est rassurante. Alors que l’on nous prédit dissensions et divisions, Mokhtar Samba prône le partage et la camaraderie. La musique est indubitablement un vecteur de compréhension mutuelle. Il suffit juste de rester ouvert et attentif pour capter l’intention généreuse d’une œuvre. Safar y contribue grandement !
Mokhtar Samba Safar (Grand Central Artists/The Orchards) 2023
En concert le 08 novembre 2023 au studio de l’Ermitage à Paris