Entre ses homonymes Fodéba Keïta, fondateur guinéen des célèbres Ballets africains, et le chanteur malien Salif Keïta, son nom pourrait légitimement figurer dans l’index des livres de référence sur les musiques d’Afrique publiés à l’ère pré-Internet.
Mais aucune trace de Léon Keïta dans les pages de ces ouvrages. Comme de très nombreux artistes du continent, il est tombé dans l’oubli après une poignée de vinyles qui lui avaient permis d’être un moment sous les lumières. Dans son cas, ce fut à la fin des années 70, porté par Wousse, fruit d’une collaboration avec Salif Keïta. « C’est à travers ce single qu’il a été connu comme auteur-compositeur-interprète », affirme le chanteur et musicien Tom Diakité, lequel a joué à l’époque avec notre mystérieux Léon Keita qui se produisait « beaucoup dans les cafés-concerts, les boites au Mali ».
Du personnage, on ne sait pas grand-chose. Si les œuvres d’un musicien peuvent être restaurées quelques décennies plus tard et leur cercle de diffusion élargi – nombre de disques à cette période dans la sous-région n’étaient pressés qu’en faibles quantités, parfois même quelques centaines d’exemplaires –, retracer l’histoire de leur auteur s’avère plus complexe !
Autant dire qu’ici le conditionnel s’impose. Sait-on seulement si ce guitariste chanteur est toujours vivant, lui qui aurait aujourd’hui 76 ans, selon les informations rapportées par le label Analog Africa (à prendre avec prudence au regard de certaines erreurs manifestes) dans la compilation qui lui est consacrée ? Aux dernières nouvelles, « il était tombé malade », indique Tom Diakité, sans pouvoir en dire davantage ni dater précisément ce souvenir.
En revanche, il a gardé en mémoire leur rencontre en 1978. Elle se déroule à Abidjan, déjà plaque tournante de l’Afrique francophone sur le plan musical. Léon Keita, « à la recherche d’un chanteur avec une voix qui perce », profite d’une pause durant la prestation de Tom Diakité et son groupe pour l’approcher et lui présenter son projet. Les deux hommes se mettent d’accord et l’enregistrement a lieu peu de temps après dans les locaux de la radio nationale ivoirienne, dont les studios servent aussi aux productions musicales. Parmi les instrumentistes conviés figurent le bassiste Sékou Diabaté, le saxophoniste mauritanien Lédy Youla ou encore le clavier guinéen Cheick Smith, tous membres des Ambassadeurs internationaux, la formation de Salif Keïta et Manfila Kanté relocalisée en Côte d’Ivoire.
La formation ad hoc joue live. Tous ensemble. Qu’importent les limites techniques en termes de qualité d’enregistrement. Le soin apporté par l’équipe d’Analog Africa pour en tirer le meilleur est largement suffisant pour ne pas gâcher le plaisir.
Entre les musiciens circule une énergie dont la force résultante possède ce pouvoir surnaturel de vous transporter au milieu de la pièce en les écoutant 45 ans plus tard. Magie ? Sorcellerie ? La plongée au cœur du groove est vertigineuse sur Dakan Sate Korotoumi, après le changement complet de cap qui intervient au bout de deux minutes et trente secondes : impossible de reprendre son souffle jusqu’à la fin du morceau, soit pendant près de sept minutes quasi exclusivement instrumentales ! « On n’était pas dans les formats 45 tours ! » sourit Tom Diakité.
À l’orgue, le solo extatico-psychédélique est digne de Cheick Tidiane Seck, mais la séquence dans sa globalité évoque aussi ce que font aujourd’hui Fatoumata Diawara et son équipe durant le final de certains concerts déchainés et étourdissants.
Issu du même 33 tours, Gnanassouma donne lui aussi largement la parole aux instruments, avec cette même agilité collective, irrésistible, au service de sonorités mandingues reconnaissables. Le registre d’Ifarana, extrait d’un autre album enregistré peu avant (avec quelques-uns des mêmes musiciens, assurent les spécialistes) est en revanche pour le moins inattendu.
En une poignée de secondes, le décor est fixé : du ziglibithy, un style ivoirien créé par Ernesto Djedje ! On savait la popularité qu’il avait acquise ces années-là dans son pays, mais l’exemple de cette chanson souligne l’influence en matière d’inspiration sur ses contemporains. Ce qu’en fait Léon Keïta, fidèle à sa ligne musicale très instrumentale, s’avère particulièrement savoureux.
Les autres morceaux de la compilation qui le remettent à l’honneur proviennent d’un troisième vinyle, possiblement enregistré à peu de temps d’écart à Cotonou dans les studios de la Société africaine des techniques électroniques (Satel) qui avaient ouvert quelques années plus tôt.
Sur ces titres, jouerait l’orchestre Black Santiago, monument de la musique béninoise dont le nom et l’histoire ont traversé les générations, comme vient le rappeler la toute récente série télé Black Santiago Club. Aussi polyvalente qu’un couteau suisse, la formation dirigée par le trompettiste Ignace de Souza apporte à Léon Keïta son savoir-faire, en particulier dans le domaine afro-cubain.
D’après la pochette originale, le chanteur est en duo avec Germain, qui partage le même patronyme. Une énigme de plus, qui épaissit encore davantage le halo de brouillard autour de cet artiste aux qualités musicales remarquables.