Le gouvernement américain a finalement invoqué l’acte 70-08 du Congrès, reconnaissant qu’un coup d’État militaire a bien eu lieu au Niger contre un président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum. L’administration Biden a donc arrêté toute coopération avec le Niger, supprimé près d’un demi-milliard de dollars de crédits d’aide puis exclu le pays de l’Agoa. Les États-Unis ont toutefois maintenu la base de drones d’Agadez jugée importante pour leur sécurité nationale. La France quant à elle a amorcé le départ de ses troupes, après avoir rapatrié son ambassadeur et suspendu toute coopération avec le pays. Elle enlève ainsi à la junte son principal viatique, la propagande politique pour « la souveraineté du pays compromise » par la présence française.
De la si dommageable mésentente américano-française…
Le putsch du 26 juillet 2023 a été analysé comme procédant mécaniquement du contexte sahélien. Celui-ci en ferait, par une sorte de loi des séries, une suite logique de ceux du Mali et du Burkina Faso. Ce narratif masque ce qui est spécifique au Niger où la situation sécuritaire plutôt bien maîtrisée connaissait une amélioration régulière.
La France et les USA ont clairement manqué ici une occasion de coproduire une solution meilleure pour tout le monde que le désastre actuel. Les deux amis semblent s’être enfermés, dès le début, dans un positionnement qui est celui du « dilemme des prisonniers » s’interdisant de se parler franchement et de se faire confiance, ce qui les a amenés à préférer la pire des solutions pour tous. Les Américains misaient sur quelques officiers qu’ils ont formés pour sauvegarder leurs intérêts. Les Français comptaient sur la fermeté de la Cedeao pour inverser le coup.
Enhardie par la désunion manifeste de « l’Occident », la junte s’est sentie assez rassurée pour investir dans la surenchère antifrançaise.
Mais le diable s’est échappé de la bouteille et les russo-panafricanistes réclament également le départ des Américains, préférant Wagner pour remplacer les Français. Ce qui pourrait rendre problématique la survie de la base d’Agadez, dont l’existence même a fait l’objet au Congrès américain d’une polémique initiée par les Républicains. La méfiance réciproque entre la France et les USA a contribué à l’impasse actuelle, mais n’explique pas tout.
… à la responsabilité de l’ex-président Mahamadou Issoufou
En effet, cette aventure a aussi une genèse interne qui raconte une autre histoire. Ce serait plutôt l’épilogue suicidaire d’une passation pacifique du pouvoir dans le pays devenue insupportable pour le président sortant Mahamadou Issoufou. Personne au Niger ne prévoyait que cela se produirait, ni surtout à ce moment précis.
Le pays connaissait en effet une économie en croissance rapide, avec des flux financiers importants et des partenaires disposés, des projets transformateurs, une situation sécuritaire meilleure que celle de nos voisins et la meilleure que nous ayons connue depuis plusieurs années.
Le président Bazoum a entrepris de modifier l’économie politique de la démocratie nigérienne, après dix ans d’une stabilité institutionnelle bénéficiant aux mêmes acteurs de l’action collective, mais sans aucune chasse aux sorcières. Cela met évidemment en péril le système de clientélisme, consubstantiel à toute démocratie naissante dans un état faible, qui prospérait grâce aux commandes et aux emplois publics.
Le nouveau président avait déjà donné des signaux forts de sa résolution de lutter contre les détournements de fonds publics et la corruption, dont il reconnaissait publiquement l’existence et les bénéficiaires, ce qui rendait encore plus légitime l’exigence de résultats, dans ce domaine, par nos partenaires extérieurs.
Son prédécesseur, architecte du système, récipiendaire prématuré du prix Mo Ibrahim, s’est senti naturellement en danger. II n’a pas à ce jour condamné publiquement le coup contre son successeur, mais au contraire s’est opposé publiquement à l’intervention militaire envisagée par la Cedeao et fait, à l’intérieur du pays, la promotion active d’une « solution » sans son prédécesseur. C’est pourquoi, on est fondé à croire, comme beaucoup de Nigériens, qu’il est l’instigateur du coup.
Ayant constaté que le dernier coup d’État militaire intervenu en septembre 2022 au Burkina Faso n’avait pratiquement fait l’objet d’aucune sanction internationale, il a compris tout le parti à tirer de cette « lassitude internationale » vis-à-vis des coups d’État dans les pays du Sahel.
Aussi a-t-il actionné la section la plus corrompue des forces de sécurité, c’est-à-dire la garde présidentielle dirigée par le général Tchiani. Il avait nommé celui-ci à ce poste depuis 2011. Lui étant resté fidèle, il a réalisé le coup d’État et a séquestré le président Bazoum. Motivée par l’aubaine qui s’offrait à ses officiers comme en atteste la militarisation sans précèdent de l’administration territoriale et des entreprises parapubliques, l’armée a rejoint le putsch.
Résultat : une catastrophe généralisée
Trois mois plus tard la situation sur le terrain est catastrophique sur les plans économique, social et sécuritaire et rien ne laisse entrevoir la fin de ce funeste tunnel.
La riposte de la Cedeao, dont les sanctions sont sévèrement ressenties par les populations, paralyse les putschistes, même si l’organisation régionale n’a pas exécuté sa menace d’intervention militaire. L’atonie de la réaction interne s’explique par la faiblesse des institutions politiques et la médiocrité de certains des hommes qui les incarnent, l’adhésion plutôt nominale des élites réelles à la gouvernance démocratique, l’effacement du mouvement syndical au profit d’une société civile disparate et la persistance de puissants lobbys antidémocratiques parmi les chefs traditionnels et religieux et bien sûr la brutalité de la répression.
Mais la peur s’estompe et des manifestants réclament désormais l’arrestation de l’ancien président Issoufou. Comme toute personne soupçonnée, ce dernier peut revendiquer le droit à la présomption d’innocence, mais difficilement prétendre à un rôle majeur dans un ordre démocratique.
La junte ne sait visiblement plus où aller. Elle peut encore rebrousser chemin pour sauver notre pays et la sécurité régionale et globale, avec l’aide de nos amis. Une victoire des djihadistes au Niger, frontalier de la Libye, déstabiliserait la Méditerranée et le golfe de Guinée. Ce qui serait pour le moins dommageable à plus d’un titre pour le Niger bien sûr, mais aussi pour bien d’autres pays hautement préoccupés par la lutte contre la pauvreté et à relever, à l’instar de nombre d’entités étatiques, le défi mondial du changement climatique.