Un concept qui ne manque pas de style, pénétrons dans l’univers d’une mode atypique, celle qui nous vient du Congo : la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes). Un courant vestimentaire né en Afrique, mais qui s’exporte et triomphe notamment à Paris où une exposition avait été consacrée à ce style au Palais de Tokyo en 2015.
Alain Mabanckou, le célèbre écrivain, se vit lui aussi comme un sapeur et déclarait à ce sujet : « Si d’aucuns perçoivent la SAPE comme un simple mouvement de jeunes Congolais qui s’habillent avec un luxe ostentatoire, il n’en reste pas moins qu’elle va au-delà d’une extravagance gratuite. Elle est une esthétique corporelle, une autre manière de concevoir le monde et, dans une certaine mesure, une revendication sociale d’une jeunesse en quête de repères. Le corps devient alors l’expression d’un art de vivre ». C’est cet art de vivre que nous tentons de comprendre avec le créateur Jocelyn Armel, sapeur et conseiller en SAPE, surnommé « Le beau Bachelor », vêtu de couleurs chatoyantes, de boutons de manchettes assortis et portant spécialement un trois pièces, dépareillé, avec un velours milleraies, un gilet droit rosé d’un pantalon vert.
Quel est ce dandysme venu du Congo ? Qui sont les sapeurs ?
Quelles sont les règles d’or et les principes de la SAPE ? Qu’est-ce qu’il faut pour être un grand sapeur ?
Est-ce que la SAPE est encore aujourd’hui un acte politique ?
Les origines de la SAPE
La Société des ambianceurs et des personnes élégantes est un mouvement culturel qui naît au Congo, à Brazzaville à la fin du XIXᵉ siècle, quand les esclaves décident de s’habiller de façon luxueuse pour faire comme les colons. Une manière pour eux d’imiter cette bourgeoisie blanche et de mettre un pied dans ce monde dont ils sont exclus. Une manière aussi de se distinguer, de faire ce qu’on n’appelle pas encore une sorte d’appropriation culturelle. Ce n’est que dans les années 1960 que ce phénomène se popularise, d’abord à Brazzaville et Kinshasa, après l’indépendance du pays. D’ailleurs, les deux villes se disputent l’origine de la SAPE. Jocelyn Armel raconte que si ce courant vestimentaire est né au Congo c’est aussi parce qu’à l’origine, « Brazzaville a connu des guerres fratricides et n’a jamais vraiment eu les moyens financiers de bénéficier de psychologues pour essayer d’adoucir les maux des populations. La SAPE a été l’une des choses qui a permis aux gens de se sortir des traumatismes de la guerre ».
Au-delà des frontières du Congo, c’est grâce à la diaspora congolaise que ce mode de vie va s’exporter principalement en Belgique et en France. À l’époque, les sapeurs ont un autre nom les « Wenger » qui signifie « bien habillé » en Congolais.
La sape, c’est aussi un sujet politique. On prête à l’ancien président Mobutu Sese Seko d’avoir utilisé le vêtement comme processus d’émancipation des pratiques occidentales. Il fallait à ce moment-là promouvoir le tissu congolais. Mais ce qui est intéressant, c’est que les sapeurs se sont retournés contre lui. En choisissant leurs vêtements parmi des marques étrangères, ils ont contesté la dictature de Mobutu, notamment sa doctrine appelée « À bas le costume », au point d’être perçus comme des menaces par le pouvoir.
« Élégance, bienveillance et narcissisme » : une mode pour mieux s’aimer
Pour les gens qui ne connaissent pas ce mouvement, la Sape peut se définir par ces trois adjectifs, selon le roi des sapeurs parisiens. Jocelyn Armel a lui-même très tôt, dès l’enfance, été séduit par ce mouvement né à Brazzaville, transmis par ses parents qui cultivaient déjà ce goût vestimentaire.
C’est avant tout un modèle d’éducation transmis par le style vestimentaire qui permet à celles et ceux qui s’y prêtent de mieux s’aimer, d’apprendre à mieux aimer la vie en la faisant miroiter à travers ses habits. « Le Bachelor » part du principe que quand il sort de chez lui, il doit recevoir plus de cinq compliments, sinon sa journée est ratée : « La sape m’a permis d’être plus heureux. Le vêtement, c’est la voie du changement. Par la SAPE, il devient un savoir-vivre qui se transmet de génération en génération, et qui enseigne l’art de s’aimer, lequel doit transpirer via ses propres habits. C’est avant tout un mouvement culturel qui vise à atteindre une auto-reconnaissance de soi-même, de sa propre personne, et qui passe par la bonne présentation, par la volonté de se sublimer en sublimant son élégance. On peut apprendre à s’aimer par la SAPE. Contrairement à ce qu’on peut penser, l’élément vestimentaire, quel qu’il soit, peut jouer un rôle important dans la vie des gens, mais à condition de lui faire jouer le bon rôle. Le sapeur peut être n’importe qui, il apparaît dans toutes les couches de la société, tous les jours, il s’agit de faire honneur à sa propre vie en arborant les couleurs. Car, oui, il est hors de question de s’habiller en noir. Pour sublimer la vie, on a besoin d’inviter de la couleur en soi ».
Au carrefour de toutes les modes et de toutes les cultures
Sur le plan stylistique, vestimentaire et culturel, il définit la SAPE comme la troisième ou quatrième école d’apparat dans le monde. C’est une mode devenue très cosmopolite qui séduit d’un bout à l’autre du monde : « Les Italiens ont créé la Sprezzatura, les Anglais, le Dandysme, les Français ont conjugué les deux, quand les Congolais de Brazzaville eux se sont invités dans ce terrain-là en apportant leur propre singularité dans la mode, tout en s’affranchissant des conventions. Le sapeur a cette légitimité d’être au carrefour de la mode en s’affichant dans sa propre singularité vestimentaire. Et, aujourd’hui, il y a des jeunes de tout acabit, de toute origine sociale, de toute religion qui s’intéressent à la sape. Hier, on pensait que c’était l’apanage d’une partie de la population seulement, mais en réalité, c’est une mode qui gagne absolument toutes les origines géographiques et sociales. Les couleurs sont faites pour tout le monde. La couleur, c’est la vie, sans elle, il n’y a pas de vie ».