Depuis que la déferlante afrobeats s’est déversée sur les cinq continents, la perception des musiques africaines change. Urbaines, créatives, elles inventent de nouveaux rythmes et beats électroniques à une rapidité vertigineuse, qui eux-mêmes se propagent de façon virale. Si l’hégémonie reste à ce jour largement détenue par les anglophones – Nigérians et Sud-Africains en tête –, quelques musiciens d’Afrique francophone ne se laissent pas faire. A commencer par Fally Ipupa, ami de Wizkid et consorts.
Le Congolais est, avec le Tanzanien Diamond Platnumz, l’une des deux têtes d’affiche du Zimix Festival, qui se tient à Lausanne ce samedi 25 juin. Amateurs de shows spectaculaires, préparez-vous: pas moins de 20 musiciens, danseurs et danseuses sont attendus sur la scène du Métropole aux côtés de la star congolaise, pour un concert qui visuellement s’inspire de la tradition des big bands de rumba-soukouss tels que les ont popularisés Papa Wemba ou Koffi Olomidé – avec habits somptueux pour la star, jeans moulants pour les danseurs dont les bassins semblent pouvoir onduler à l’infini.
Succès fulgurant
C’est justement à Kinshasa, dans le groupe Quartier Latin de Koffi Olomidé, que Fally Ipupa a fait ses classes. Protégé du maestro, il hésite avant de se lancer, contre l’avis de ce dernier, dans la réalisation de son premier album sous son nom. Droit chemin paraît en 2006. Son succès en Afrique francophone est fulgurant. Une année après, Fally Ipupa est à l’Olympia. La roue du succès continue de tourner dans le bon sens et très vite… Suivront un deuxième album en 2009 et un troisième en 2013, qui se vendent tous deux comme des petits pains avec des vidéos qui affolent les compteurs YouTube. Les récompenses pleuvent – de MTV Africa à Trace TV – tout comme les invitations prestigieuses en Afrique et aux Etats-Unis. En mars 2014, le Huffington Post le classe 6e artiste africain le plus fortuné. Riche, heureux, célèbre: Fally Ipupa fait rêver ses fans avec des chansons d’amour et un parcours sans faute.
Voix de velours, personnage aux multiples noms, sapé comme un prince, Fally Ipupa est aussi le roi du duo: Booba, Youssoupha, Aya Nakamura, MHD, Dadju, Ninho, Wizkid, M. Pokora, Youssou N’Dour… On ne compte plus les collaborations. «J’écoute tous les jours de la musique traditionnelle congolaise, de la musique ekonda, luba, mukaji, anamongo: toutes ces musiques qui dansent, qui chantent. Mais à côté de ça, j’écoute aussi George Benson, B. B. King et tout ce qui se fait actuellement. Je fais le pont entre rumba, musiques traditionnelles et urbaines, c’est ça mon univers musical», explique Fally Ipupa au téléphone alors qu’il est encore à Kinshasa, à quelques jours seulement de son concert helvétique. Dans certains de ses clips, comme Nzoto, l’artiste n’hésite pas à juxtaposer des scènes tournées au village sur des rythmes traditionnels avec d’autres dans des décors ultramodernes et des rythmiques électroniques.
Tokooos sinon rien
Pour peaufiner son programme artistique, l’Aigle, comme il est le plus souvent surnommé, a créé son propre concept: Tokooos, un néologisme créé à partir du mot lingala kitoko, qui signifie beau, positif. En 2017, il fait paraître un album sous ce nom. Depuis sont parus Control (l’étrange exception de la série), Tokooos II en 2020 et aujourd’hui sa réédition Tokooos II Gold augmentée de 15 titres inédits. Crooner au long cours, perfectionniste qui peaufine le travail de chaque son, Fally Ipupa se définit comme «un artiste de divertissement qui chante l’amour». Ce qui ne l’empêche pas de s’investir et de faire passer des messages lorsque la situation l’impose.
«Aujourd’hui, à l’instant où je vous parle, l’est de mon pays est en guerre: des populations civiles se font massacrer, des femmes se font violer. Il y a sept ans, j’ai fait le morceau Stop la guerre pour dénoncer cela. Sur Tokooos II Gold, j’ai aussi invité Youssou N’Dour à interpréter avec moi le titre Migrant des rêves.» Fally Ipupa est aussi à la tête d’une fondation caritative et a été nommé ambassadeur de l’Unicef au Congo l’an dernier.
«Le spectacle à voir une fois dans sa vie»
Premier artiste d’Afrique francophone à avoir cumulé un milliard de vues sur YouTube, il est aussi présent outre-Atlantique – une tournée est d’ailleurs agendée à la rentrée avant un nouvel album, annoncé comme un retour à la rumba. Pour la quatrième fois, il est l’un des artistes sélectionnés aux BET Music Awards, les récompenses décernées par Black Entertainment Television, une chaîne américaine essentiellement destinée à mettre en avant les artistes pop afro-américains et ceux d’autres minorités.
Jusqu’ici, la récompense lui est toujours passée sous le nez au profit de ses confrères anglophones. «Depuis que les BET Awards ont été créés en 2001, aucun artiste francophone n’a gagné. Pourtant, la musique ne devrait pas être jugée sur la langue, mais sur le travail accompli, sur la prestation scénique, sur le mérite. On verra cette année si la mentalité du jury a changé!» Réponse le 27 juin. En attendant, deux jours plus tôt, l’Aigle prendra son envol en direction de la Suisse. Et quand on lui demande une bonne raison de venir le voir sur scène à Lausanne, on le devine en train de sourire à quelques milliers de kilomètres de notre oreille: «Mon show c’est LE spectacle à voir au moins une fois dans sa vie, au moins une fois avant de mourir…»