« L’un de nous est retenu en otage par sa garde présidentielle. Quelle calamité. » Dimanche 30 juillet, en ouverture du sommet de la Cédéao sur la situation au Niger, le président du Nigeria a dénoncé le coup d’État survenu à Niamey le 26 juillet. « C’est une insulte pour chacun de nous. Nous devons agir fermement pour restaurer la démocratie », a aussi déclaré le chef d’État nigérian.
Élu à la tête de la Cédéao au début du mois de juillet, Bola Tinubu a été l’un des premiers chefs d’État africain à condamner publiquement le putsch au Niger du 26 juillet. Ce coup d’État, dernier en date sur le continent, a été perpétré contre le président élu Mohamed Bazoum par des militaires menés par le général Abderrahmane Tchiani au Niger. Bola Tinubu a notamment promis que l’organisation et la communauté internationale « feraient tout pour défendre la démocratie » et son « enracinement » dans la sous-région.
« Stupeur et consternation »
La Cédéao a notamment demandé « la libération immédiate » du président Bazoum et le « retour complet à l’ordre constitutionnel en République du Niger », selon les résolutions lues dimanche 30 juillet à la fin d’un sommet extraordinaire présidé par le chef d’État nigérian. « C’est avec stupeur et consternation » que la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (Cédéao) « a pris connaissance de la tentative de coup d’État au Niger », indiquait aussi un communiqué de l’organisation régionale.
« C’est intéressant de voir l’orientation internationale de Tinubu », remarque auprès de l’AFP Cheta Nwanze du cabinet de conseil SBM. Comme il l’indique à nos confères, le plus gros risque encouru par le nouveau régime à Abuja est d’être « perçu comme un “tigre de papier” : imposant en apparence, peu influent en réalité”.
Il prend la suite de Muhammadu Buhari
« Nigeria, nous sommes de retour ». À la tribune du sommet de la Cédéao qui s’est à Bissau le 12 juillet 2023, Bola Ahmed Tinubu a une idée en tête. Il veut afficher sa détermination à placer son pays au devant de la scène régionale. Arrivé au pouvoir le 1er mars dernier, le chef d’État de 71 ans assure que « nous avons besoin de la démocratie pour être un exemple pour le reste de l’Afrique et du monde ».
Candidat du Congrès des progressistes à la dernière élection présidentielle, il a été élu président du Nigeria fin février, plébiscité dès le premier tour avec 8,8 millions de voix. Durant sa campagne, ses adversaires ont assuré qu’il était souffrant – mettant en avant son âge avancé – et qu’il pourrait même être atteint de la maladie de Parkinson.
Des affirmations balayées d’un revers de la main par l’intéressé. Le 29 mai, trois mois après sa victoire électorale, Bola Tinubu est investi président de la République du Niger. Il succède à Muhammadu Buhari, après huit années passées au pouvoir.
Icône de la démocratie et mesures impopulaires
De confession musulmane, fervent pratiquant, il est surnommé par ses partisans le « Parrain » en raison, dit-on, de son immense influence sur la vie politique de son pays ces dernières années. À la tête de l’une des plus grosses fortunes du Nigeria, il a été une figure phare de la démocratie durant la dictature militaire des années 1990, s’exilant au Bénin. Ses plus fervents supporters lui louent un sens politique aigu, issu de plus de trois décennies passées dans les arcanes du pouvoir.
Dès son accession au pouvoir, le président Tinubu a pris une série de mesures stratégiques, notamment en matière économique. La plus emblématique d’entre elles reste sa décision de mettre fin aux subventions sur le carburant. Actée le 29 mai, la mesure était décriée de longue date par le clan Tinubu. Le président voyait en ces subventions “un gouffre financier insoutenable”.
Selon lui, elles étaient aussi à l’origine d’un immense trafic de contrebande de l’essence subventionnée vers les pays voisins, à commencer par son ancien pays d’adoption, le Bénin. « Pourquoi devrions-nous (…) nourrir les contrebandiers et être le Père Noël des pays voisins », a-t-il fustigé peu de temps après l’entrée en vigueur de la suppression des subventions. Cette mesure est très impopulaire au Nigeria.
« On est enthousiasmé par le nouveau gouvernement, par certaines des premières décisions prises », a salué devant la presse Bernard Mensah, haut responsable de la Bank of America. « Tinubu a une chance de redorer le blason du Nigeria », souligne de son côté le professeur Kabiru Sufi, qui enseigne les affaires publiques au Kano College et qui a été interrogé par nos confrères de l’AFP.
Rétablir l’ordre dans le pays…
Les années Buhari ont été marquées par une sévère détérioration de la sécurité dans le pays. Raison pour laquelle peu après son élection, et le jour même de son investiture, Bola Tinubu promet de faire de la lutte contre l’insécurité « sa priorité absolue ».
Des paroles aux actes. Bola Tinubu a d’abord nommé lundi 20 juin de nouveaux chefs de l’armée et de la sécurité, soit trois semaines à peine après son investiture. Des nominations qui interviennent juste après le limogeage de tous les chefs et conseillers des services militaires ainsi que le chef de la police nationale et le chef du service des douanes, là aussi, sur décision de la présidence de Tinubu.
Peu après son élection il avait également limogé le chef de le Banque centrale du pays, Godwin Emefiele, arrêté depuis. Il a aussi nommé un nouveau chef anti-corruption. Le remaniement de l’appareil sécuritaire après un changement de président est une pratique courante au Nigeria qui a été très marqué par trois décennies de dictatures militaires avant de renouer avec la démocratie en 1999. « Tout le monde admire le Nigeria, en particulier en Afrique et dans la région de la Cédéao, et le président Tinubu est prêt à relever le défi », s’est vanté Dele Alake, porte-parole du président nigérian peu de temps après son élection.
… et dans la région sahélienne
Au delà de son action contre la corruption à l’intérieur de ses frontières, Bola Tinubu entend aussi lutter contre l’essor du djihadisme dans son pays et sa proche région. « Seul le Nigeria est en mesure de rassembler la région, mais il lui sera difficile de le faire tant que ce sera le désordre dans le pays », a expliqué à l’AFP Cheta Nwanze, issu du cabinet de conseil SBM.
Le nord-ouest et le centre du Nigeria sont régulièrement le théâtre de tensions et conflits meurtriers autour de l’exploitation de la terre et des ressources en eau entre communautés d’agriculteurs et d’éleveurs. L’ancien président Muhammadu Buhari avait certes remporté des succès contre les jihadistes qui ravagent le nord-est du pays. Mais Boko Haram et le groupe État islamique opèrent toujours dans la région et l’insécurité est généralisée sur le reste du territoire, entre gangs et malfrats.
L’armée nigériane et les groupes djihadistes, dont Boko Haram, sont au coeur d’un conflit qui dure depuis près de 15 ans. Les affrontements ont fait plus de 40.000 morts et déplacé plus de 2 millions de personnes. Il s’agit de l’une des plus graves crises humanitaires du XXIe siècle selon l’ONU.