Au Maroc, Le Sport Pour « Libérer L’Énergie De La Jeunesse » Et Sortir Du Chômage

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Dans l’ancienne médina de Casablanca, les salles de classe de l’école primaire Abdelwahed El-Marrakchi n’accueillent plus d’enfants et la cour de récréation a cédé la place à des terrains de basket, de football et de handball. Reconverti en « établissement de la deuxième chance », l’endroit, caché derrière un portail bleu, au bout d’une impasse, accueille des jeunes à la recherche d’un avenir professionnel dans le sport. Quelques-uns sont des athlètes en reconversion, certains veulent changer de vie, d’autres rêvent de travailler dans l’industrie sportive. La majorité est sans emploi et ne suit ni études ni formation.

Mis à disposition par le ministère de l’éducation, le lieu est géré par Tibu, une ONG marocaine qui a mis en place, dès 2019, un programme de formation aux métiers du sport. En quatre ans, plus de 2 500 bénéficiaires sont devenus entraîneurs, éducateurs ou entrepreneurs.

Ce vendredi, c’est Ikhlas Zamzoum, 26 ans, nouvellement salariée de Tibu, qui se charge des présentations. Neuf fois championne du Maroc de taekwondo, la jeune femme dit avoir toujours rêvé de travailler dans le football, « mais à Fès, où je suis née, il n’y avait pas d’infrastructures ». Ikhlas a ainsi délaissé les arts martiaux pour le ballon rond et suivi avec l’ONG une formation d’un an, à l’issue de laquelle elle est devenue coach.

En partenariat avec la Fédération néerlandaise de football, elle forme de futures entraîneuses, âgées de 18 ans à 30 ans, dans une dizaine de villes du Maroc. « Certaines sont des sportives de haut niveau, mais être une championne n’est pas un critère. Il faut avant tout être passionnée et respecter des valeurs : la responsabilité et l’envie d’apprendre et de transmettre. »

« Créer des chemins de réussite »

Comme Ikhlas, Ghita Chafik, 23 ans, est une spécialiste des arts martiaux. Mais cette ex-championne du Maroc et d’Afrique de jujitsu a fait le choix de l’entrepreneuriat plutôt que celui du salariat par une organisation. En 2020, elle a créé dans un établissement scolaire, proche de Casablanca, une « académie d’éducation par le jujitsu » pour les 6-9 ans. Plus récemment, elle a lancé un « dojo » dans une école de son quartier d’enfance, Sbata, un arrondissement de la métropole qu’elle décrit comme « vulnérable ».

« On y promeut l’égalité entre les sexes et l’émancipation des filles. Les enfants y ont accès trois fois par semaine, gratuitement. On les sensibilise aussi afin qu’ils sachent que le sport peut leur offrir un avenir professionnel s’ils le désirent », précise-t-elle. Avec son association, qui salarie aujourd’hui quatre personnes, Ghita projette maintenant d’ouvrir une seconde académie à Casablanca.

Dans les locaux de Tibu défilent aussi des garçons. Oussama Bouizgma, 23 ans, est originaire de Taroudant. Formé par l’ONG, il explique avoir appris « à rédiger un CV, à préparer un entretien, à maîtriser les outils informatiques et le marketing digital ». Il travaille depuis un an dans un club de fitness de Casablanca. Basketteur à la carrière écourtée par une blessure, Saif Eddine Daoudi, 28 ans, dirige quant à lui les programmes d’inclusion socio-économique de Tibu. « Notre rôle est de créer pour les jeunes des chemins de réussite », lance-t-il, alors que le taux d’insertion des bénéficiaires s’élève, dit-il, à 85 %.

Dans un pays où le taux de chômage a atteint 13,5 % au troisième trimestre – du jamais-vu depuis les années 1990 –, l’insertion professionnelle des jeunes est un casse-tête pour les gouvernements qui se succèdent. Selon le Haut-Commissariat au plan, près de 50 % des 15-24 ans en milieu urbain sont sans emploi. Se pose dès lors la question des débouchés que peut offrir le sport à des centaines de milliers de jeunes ?

Les possibilités sont certes limitées – la Fédération marocaine des professionnels du sport estime à moins de 30 000 le nombre des emplois publics et privés de l’écosystème –, mais l’entrepreneuriat est un leitmotiv des discours politiques et l’économie sportive une réalité de plus en plus concrète. Le Maroc accueillera la Coupe d’Afrique des nations (CAN) en 2025, puis la Coupe du monde de football aux côtés de l’Espagne et du Portugal en 2030.

« Gisement de croissance »

De quoi susciter un appel d’air dans une industrie qui ne pèse encore que 0,5 % du PIB, selon le Conseil économique, social et environnemental. En 2022, l’institution décrivait le sport comme « un gisement de croissance », mais relevait « des fragilités et des dysfonctionnements qui entravent sa transformation en un vecteur de création de richesse et d’emplois ». Parmi les faiblesses identifiées : l’insuffisance du nombre des licenciés, moins de 1 % de la population, et une activité essentiellement gérée par des associations, dont les ressources proviennent majoritairement de subventions.

C’est donc à « un changement systémique » qu’appelle le fondateur de Tibu. « Avec un ballon, un terrain et l’accompagnement d’un homme ou d’une femme, on peut changer radicalement la vie d’un jeune », confie Mohamed Amine Zariat, 32 ans, dont l’ONG, qui a démarré en 2011, emploie une centaine de collaborateurs et propose des formations dans tout le Maroc.

Outre son programme d’inclusion, Tibu s’adresse aussi à des populations spécifiques : mères adolescentes, migrants et réfugiés, détenus mineurs, populations des zones rurales… En 2022, environ 250 000 personnes ont été accompagnées par l’ONG, dont le modèle économique – un mix entre les revenus issus d’activités payantes et la contribution de bailleurs de fonds – a été cité en exemple par la Commission spéciale sur le modèle de développement, une instance mise en place en 2019 pour promouvoir une croissance plus inclusive.

Ancien joueur de l’équipe marocaine de basket, Mohamed Amine Zariat, qui se définit comme un « entrepreneur social », répète vouloir « rapprocher le sport des quartiers et des écoles » et vise désormais un développement en Afrique. Un centre d’inclusion est en projet dans un quartier défavorisé d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Viendront ensuite le Sénégal, Madagascar et la Tunisie. Avec, comme au Maroc, l’objectif de transmettre « les compétences qu’offre le sport pour libérer l’énergie de la jeunesse africaine ».

SourceLe Monde
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