Au début du clip, il apparaît avec sa silhouette enrobée et son éternelle moustache, relevant le rideau de fer de sa célèbre boutique, allumant les lumières avant d’introduire une cassette dans un vieux lecteur. Comme une allégorie d’un retour tant espéré par les nostalgiques de l’âge d’or du raï.
Figure de proue de la scène musicale algérienne jusqu’à la fin des années 1990, Boualem Benhaoua est mis à l’honneur dans le dernier morceau de DJ Snake, Disco Maghreb. Pour ce titre hommage à ses origines algériennes, l’artiste français le plus écouté au monde a emprunté son nom et sa typographie au label de musique d’Oran, dont les chansons indémodables ont bercé son enfance.
Dénicheur de talents, Boualem Benhaoua, alias « Boualem Disco Maghreb », a découvert à partir du début des années 1980 une flopée d’artistes aux voix envoûtantes en mal de reconnaissance. C’est l’éclosion de la génération dorée du raï. La « génération des chebs » : Cheb Mami, Cheb Hasni et surtout Cheb Khaled, qui inventera à son insu le nom de la société de production et du magasin, niché à l’ombre de l’hôtel Timgad, en plein cœur d’Oran.
Loin de l’effervescence du centre-ville d’Oran, dans sa ferme baignée de soleil, située dans le quartier d’Aïn Beïda, le producteur de musique prépare pourtant son retour. Autre époque, autre méthode. Celui qui a inondé de cassettes de raï le pays et jusque de l’autre côté de la Méditerranée, contribuant au rayonnement mondial d’un style musical confiné jusque-là en Oranie, s’apprête à investir les plateformes de streaming. Une chaîne Youtube, qui compte 55 000 abonnés, vient d’être lancée. Objectif : numériser 700 titres phares du catalogue. Et, surtout, relancer la production. Les artistes sont attendus en studio au cours de l’été. « Les nouveaux singles de Disco Maghreb sortiront d’ici septembre », espère Tarik El-Kébir, associé de Boualem Benhoua et ancien manager de Cheb Mami.
Les légendes du raï, comme Cheb Zahouania, Cheba Fadela et Cheb Sahraoui, seront de la partie. Boualem Disco Maghreb veut également former la relève. Cette fois, il ne devrait pas avoir à écumer les fêtes de mariage et les cabarets de la corniche oranaise, comme à ses débuts. « C’est un producteur encore très respecté. Dès que les artistes en herbe sauront que Disco Maghreb reprend du service, ils l’approcheront d’eux-mêmes », parie Tarik El Kébir.
Mauvaise réputation
Mais une chose n’a pas changé : malgré sa popularité chez les jeunes, le raï, retranché dans les boîtes de nuit après la décennie noire, a toujours mauvaise réputation. Beaucoup continuent de lui reprocher ses textes crus et son langage outrancier. Même Boualem Disco Maghreb reconnaît que ces dernières années, le raï s’est « enlaidi » : « On parle beaucoup trop de drogue et de cocaïne. On montre le mauvais exemple alors que les anciens parlaient de belles choses. »
D’ailleurs se souvient-il, « de notre temps, on ne cherchait pas à choquer. On évoquait des sujets dans l’air du temps, qui nous touchent au plus profond, comme l’amour maternel, le mariage, l’ami parti en prison, mais aussi la beauté de la ville d’Oran et du pays ». La source du malentendu ? « On chantait comme on parlait dans la vie, avec nos mots du quotidien, et en darja, le dialecte algérien, pas en arabe classique comme les cantatrices à la mode, Oum Kalthoum et Warda. Voilà pourquoi on nous a collé cette étiquette de vulgaire », regrette le producteur.
Malgré tout, à 68 ans, ce mélomane gourmand n’a rien perdu de son goût éclectique. Et cet infatigable chasseur de paroles puissantes espère bien trouver la « prochaine voix qui nous donnera la chair de poule ».