Trois élégantes dames, parapluie à la main, marchent vers une église éloignée… Silhouettes solitaires, perdues entre deux villages, images familières des grandes routes africaines: des profils qui s’arrachent à l’horizon pour avancer vers le lointain. Inexorablement, le chemin les avale. Soudain, surgit une montagne. Etirée comme un coup de griffe à la frontière du Lesotho, la majestueuse chaîne des Drakensberg voit converger les routes sud-africaines. Celles des cartes qui traversent les déserts et les hauts plateaux, celles du temps qui sillonnent la tortueuse saga des terres australes.
A 3 450 mètres au-dessus de la mer, les Drakensberg sont le rendez-vous des fondateurs de la nation, des colons, des chefs de guerre et mystiques de tous bords. Leur nom dérive de deux termes néerlandais qui signifient «dragons» et «montagnes». Certains pics des Drakensberg ressembleraient, dit-on, à des dents de dragon. Les Zoulous y voient un uKhalamba: un «mur de sagaies». Avant l’arrivée des combattants bantous, ces montagnes furent aussi un fabuleux musée à ciel ouvert, la capitale perdue de l’art des San.
La piste frôle les nuages et se faufile dans le parc de Giant’s Castel. Il faut poursuivre à pied. Marion Walsham How, épouse d’un magistrat d’une petite ville du Lesotho, explora la région dans les années 1930 et se passionna pour son histoire. Dans ses carnets, elle décrit précisément cette terre qui nous toise, ce «pays formidable et terrifiant… si sévère et menaçant qu’on dirait que de mauvais esprits se cachent derrière ces sinistres roches noires. Même à certains endroits, où le givre sur chaque brin d’herbe le faisait ressembler à une contrée féerique au soleil, cela ne diminuait en rien l’accablante grandeur de sa solitude». Le mince sentier surplombe un torrent qui abandonne une traînée argentée dans le vert de la vallée. Puis il s’engouffre dans l’obscurité de la forêt.